Lâartiste autrichien Gustav Klimt, trĂšs dĂ©criĂ© de son temps, est aujourdâhui lâune des figures-clĂ©s de lâart moderne Ă Vienne et dans le monde. Son style unique et original, entre symbolisme, art nouveau et impressionnisme, a marquĂ© lâhistoire de lâart et inspirĂ© de nombreux autres artistes modernes et contemporains. Gustav Klimt Ă©tait un artiste convaincu qui malgrĂ© les critiques a su livrer une Ćuvre universelle et intemporelle que lâon considĂšre Ă prĂ©sent comme classique.
I â La vie de Gustav Klimt
1. De son enfance au début de sa carriÚre
NĂ© le 14 juillet 1862 dans la banlieue viennoise de Baumgarten en Autriche, Gustav Klimt Ă©tait le deuxiĂšme enfant dâune fratrie de sept. Son pĂšre, Ernst Klimt, Ă©tait orfĂšvre ciseleur et sa mĂšre, Anna Finster, Ă©tait chanteuse dâopĂ©ra. Le couple gagnait peu dâargent, si bien que lâenfance de Gustav Klimt et ses frĂšres et sĆurs fut marquĂ©e par la pauvretĂ©.
Ă l’Ăąge de 14 ans, il entra Ă lâEcole des Arts DĂ©coratifs de Vienne aux cĂŽtĂ©s de deux de ses frĂšres, afin dâapprendre le mĂ©tier de leur pĂšre. Cette Ă©cole avait Ă©tĂ© fondĂ©e comme Ă©quivalent de lâAcadĂ©mie des Beaux-Arts de Vienne, destinĂ©e aux Ă©tudiants originaires de la classe ouvriĂšre, cependant, elle dispensait des cours dâun trĂšs bon niveau. Gustav Klimt eĂ»t notamment pour professeur les peintres autrichiens Julius Victor Berger et Ferdinand Laufberger, qui lui donnĂšrent son goĂ»t pour la peinture.
Câest Ă 17 ans, en 1879, que Gustav Klimt dĂ©buta sa carriĂšre en tant que dĂ©corateur. Il faisait alors partie dâune Ă©quipe dâartisans emmenĂ©s par le peintre et dĂ©corateur Hans Makart. Son premier projet dâimportance fut la conception de dĂ©corations pour le cortĂšge dâanniversaire de mariage du couple impĂ©rial, Franz Josef et Elizabeth.
Lors de la fin de ses Ă©tudes, en 1883, Gustav Klimt sâassocia avec son frĂšre Ernst Klimt et un ami du nom de Franz Matsch pour crĂ©er la « Compagnie des artistes » (« KĂŒnstlercompagnie » en viennois). Au sein de cette sociĂ©tĂ©, les trois artistes-artisans rĂ©alisĂšrent de nombreux projets, dont la plupart Ă©taient des dĂ©corations intĂ©rieures de théùtres et salles de spectacle Ă Vienne et dâautres villes de lâEmpire austro-hongrois. La Compagnie des artistes peignait alors beaucoup de fresques dans un style acadĂ©mique nĂ©o-classique. Ils dĂ©corĂšrent notamment les escaliers du Burgtheater de Vienne entre 1886 et 1888. Ce projet les prĂ©cipita au statut de premiers dĂ©corateurs dâAutriche et leur valut de recevoir la Croix dâor du mĂ©rite artistique, qui leur fut attribuĂ©e par lâEmpereur François-Joseph 1er.
Durant cette Ă©poque, Gustav Klimt commençait dĂ©jĂ Ă se distinguer de ses deux associĂ©s par son style unique et il se vit commissionner des projets Ă son propre compte, dont la salle de spectacle du vieux Burgtheater Ă Vienne. On le loue notamment pour ses portraits, qui sont jugĂ©s extrĂȘmement prĂ©cis et rĂ©alistes.
En 1891, Gustav Klimt et sa Compagnie des artistes achevĂšrent les 40 pendentifs du grand escalier du MusĂ©e des Beaux-Arts de Vienne : sur ces 40 peintures destinĂ©es Ă habiller les espaces encore non peints du plafond de lâescalier, les trois artistes peignirent des reprĂ©sentations des diffĂ©rentes Ă©poques de lâhistoire de lâart, avec notamment toute une galerie de personnages peints dans le style unique de Klimt. Ce projet appuya encore leur excellente rĂ©putation mais il fut malheureusement le dernier pour les trois collaborateurs, puisquâErnst Klimt dĂ©cĂ©da lâannĂ©e suivante, juste aprĂšs leur pĂšre, et que la Compagnie des artistes cessa dâexister.
Au moment de la dissolution de sa sociĂ©tĂ©, Gustav Klimt avait dĂ©jĂ acquis une trĂšs bonne rĂ©putation en tant que peintre dĂ©corateur dâintĂ©rieur et il nâaurait eu aucun mal Ă trouver dâautres commanditaires. Cependant, il ne se sentait plus vraiment Ă lâaise dans le style classique acadĂ©mique, qui selon lui, brimait sa crĂ©ativitĂ© et ne lui laissait aucun moyen dâexprimer librement son style, sa vision des choses et ses goĂ»ts personnels en matiĂšre dâart.
2. Rupture avec lâacadĂ©misme et naissance de la « SĂ©cession viennoise »
En 1890, Gustav Klimt avait dĂ©jĂ commencĂ© Ă sâintĂ©resser Ă dâautres formes dâarts, que ce soit lâart qui lui Ă©tait contemporain ou les arts plus anciens mais qui ne trouvaient pas leur place au sein du modĂšle artistique acadĂ©mique. Il sâintĂ©ressa notamment au symbolisme, Ă lâimpressionnisme venu de France et aux arts asiatiques, notamment les estampes japonaises.
Cette annĂ©e, il fit la rencontre de la couturiĂšre Emilie Louise Flöge dont il tomba trĂšs vite amoureux. Elle devint alors sa compagne et sa muse : Ă partir de 1891, il rĂ©alisa de nombreux portraits dâelle. Tout au long de leur vie commune, il prit Ă©galement plusieurs photographies dâEmilie et de lui-mĂȘme. Sa relation avec Emilie fut longue et semĂ©e dâembĂ»ches puisque lâartiste eut au cours de sa vie plusieurs maĂźtresses qui lui donnĂšrent quatorze enfants illĂ©gitimes.
Au mĂȘme moment oĂč il rencontra Emilie, Gustav Klimt fit Ă©galement la connaissance de nombreux artistes, notamment lâĂ©crivain, dramaturge et mĂ©decin autrichien Arthur Schnitzler, lâĂ©crivain et fondateur du Festival de Salzbourg Hugo Von Hofmannsthal et lâĂ©crivain et dramaturge Hermann Bahr : les deux derniers faisaient partie du mouvement littĂ©raire « Jeune Vienne » qui prĂŽnait le passage de la littĂ©rature naturaliste et rĂ©aliste vers un style plus moderne centrĂ© sur lâesthĂ©tisme.
Avec la mort de son pĂšre et de son frĂšre en 1892, Gustav Klimt dĂ»t soutenir financiĂšrement sa famille entiĂšre. Il se retira de la vie publique durant un moment et en profita pour Ă©tudier de prĂšs les formes dâarts qui lâintĂ©ressaient, comme lâart japonais, lâart chinois ou lâart Ă©gyptien. Câest en 1892 quâil annonça officiellement sa rupture avec le style acadĂ©mique, souhaitant se diriger vers lâArt nouveau. LâannĂ©e suivante, le ministĂšre de la culture refusa que Gustav Klimt soit nominĂ© Ă la chaire de peinture dâhistoire des Beaux-Arts. MalgrĂ© tout, lâartiste commença Ă travailler sur un projet qui serait sa derniĂšre rĂ©alisation publique : les peintures La MĂ©decine, La Philosophie et La Jurisprudence qui devaient dĂ©corer le plafond de lâAula Magna, le hall de lâUniversitĂ© de Vienne.
En 1895, Gustav Klimt assista Ă une exposition Ă Vienne qui prĂ©sentait lâĆuvre de nombreux artistes qui influencĂšrent son travail par la suite : le graveur allemand Max Liebermann, qui Ă©tait fortement inspirĂ© par le mouvement impressionniste, le peintre belge FĂ©licien Rops qui se revendiquait des mouvements symboliste et dĂ©cadentiste, le sculpteur français moderne Auguste Rodin ainsi que les artistes symbolistes Max Klinger, Arnold Böcklin.
Deux ans plus tard, le 3 avril 1897, Gustav Klimt et plusieurs de ses amis artistes lancĂšrent le journal « Ver Sacrum », porte-parole dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration dâartistes qui avaient pour ambition de renverser lâordre Ă©tabli en art, Ă la maniĂšre du mouvement français « Art Nouveau ». Dans le mĂȘme temps, ils crĂ©ent lâUnion des artistes figuratifs, un groupe prĂ©sidĂ© par Klimt et rĂ©unissant 19 artistes viennois dont lâintention Ă©tait de rĂ©former lâart autrichien pour le transporter sur la scĂšne internationale. Ce mouvement est aujourdâhui connu sous le nom de « SĂ©cession viennoise ». Et pour la petite histoire, lâexpression « ver sacrum » signifie en latin « Printemps sacrĂ© » et elle dĂ©signe une coutume qui consistait Ă chasser de jeunes adultes hors de la ville afin de les pousser Ă fonder une nouvelle citĂ© autre part. Avec lâaide de lâarchitecte art nouveau Josef Maria Olbrich, la « SĂ©cession viennoise » se fit construire un Ă©tablissement qui serait destinĂ© Ă exposer leurs Ćuvres figuratives.
3. Une carriÚre artistique controversée
Câest en 1898 que Gustav Klimt peignit le tout premier tableau qui marquait sa rupture avec lâart acadĂ©mique : Pallas AthĂ©na. Sur cette toile, lâartiste reprĂ©senta la dĂ©esse grecque AthĂ©na, dĂ©esse de la sagesse et de la guerre, mais aussi des artistes et des artisans. Ce tableau a une dimension ironique : la dĂ©esse se tient droite, fiĂšre, en tenue de guerre. Mais sous son visage auquel lâartiste a prĂȘtĂ© les traits dâune trĂšs belle femme, on peut apercevoir un autre visage, celui dâune gorgone, crĂ©ature de la mythologie grecque qui Ă©tait considĂ©rĂ©e comme malĂ©fique puisquâelle Ă©tait capable de pĂ©trifier dâun seul regard. Dans ce tableau, Gustav Klimt commençait Ă affirmer le style si particulier qui le rendra cĂ©lĂšbre. Il y intĂ©gra par exemple beaucoup dâĂ©lĂ©ments dorĂ©s : la lance, le casque, la cĂŽte de maille dâAthĂ©na et le visage de la gorgone sont ainsi peints en dorĂ©. Pallas AthĂ©na fut lâĆuvre choisie pour illustrer lâaffiche de la premiĂšre exposition de la SĂ©cession viennoise la mĂȘme annĂ©e.
En 1900, alors que la SĂ©cession viennoise lançait sa septiĂšme exposition, Gustav Klimt prĂ©senta la premiĂšre Ćuvre de son projet de dĂ©coration de lâAula Magna, commencĂ© plusieurs annĂ©es plus tĂŽt. Cette toile Ă©tait celle de La Philosophie. Gustav Klimt avait choisi dâillustrer ce thĂšme en peignant les diffĂ©rentes Ă©tapes de la vie humaine, de la naissance Ă la vieillesse. Au milieu, il reprĂ©senta deux amants, nus, en pleine Ă©treinte. Ce tableau attira les foudres du milieu universitaire : lâartiste fut vertement critiquĂ©, on qualifia son tableau dâ« Ă©rotique » et on lui reprocha dâavoir voulu dĂ©baucher les jeunes Ă©tudiants. MalgrĂ© cette critique acerbe, La Philosophie fut quand mĂȘme primĂ©e dâune mĂ©daille dâor lors de lâexposition universelle de Paris.
Les deux Ćuvres suivantes, La MĂ©decine et La Jurisprudence fut aussi mal accueillies par le milieu universitaire que La Philosophie. La MĂ©decine fut prĂ©sentĂ©e au public en 1901, au cours de la dixiĂšme exposition de la SĂ©cession viennoise : sur ce tableau, Gustav Klimt reprĂ©senta une femme nue, le corps en avant, aux cĂŽtĂ©s dâun enchevĂȘtrement de corps symbolisant la maladie, la souffrance et la mort. Une fois de plus, cette toile fit scandale au sein du milieu universitaire. Klimt fut accusĂ© de nouveau dâavoir voulu dĂ©baucher la jeunesse universitaire viennoise. LâUniversitĂ© de Vienne annula la commande des trois tableaux pour lâAula Magna et demanda Ă lâartiste de rendre lâavance de 30 000 couronnes qui lui avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© payĂ©e. Lâartiste rĂ©alisa quand mĂȘme le troisiĂšme tableau du triptyque, La Jurisprudence, quâil prĂ©senta en 1907. Les trois Ćuvres furent achetĂ©es quatre ans plus tard par Koloman Moser, lui aussi artiste peintre et dĂ©corateur autrichien, ami de Gustav Klimt et figure de lâArt Nouveau.
AprĂšs ce scandale, Gustav Klimt nâaccepta plus aucune commande publique. Un brin provocateur, il peignit en 1901 le tableau Les Poissons Rouges, initialement intitulĂ© A mes critiques, quâil dĂ©die Ă ses dĂ©tracteurs. Sur ce tableau, on peut voir une femme nue, de dos, qui montre son postĂ©rieur au spectateur. Cette peinture restera lâune des plus osĂ©es peintes par Gustav Klimt et elle Ă©tait justement destinĂ©e Ă ceux qui critiquaient son Ćuvre, la trouvant trop Ă©rotique Ă leur goĂ»t.
Toutefois, lâartiste Ă©tait soutenu par de nombreux mĂ©cĂšnes de la bourgeoisie et de lâaristocratie, qui admiraient son style et lui commandaient des portraits dâeux-mĂȘmes ou de leur femme : cette activitĂ© suffisait amplement Ă Klimt pour vivre de son art. Lâartiste Ă©tait par ailleurs trĂšs occupĂ© avec les expositions rĂ©currentes du Palais de la SĂ©cession viennoise.
En effet, en 1902, la SĂ©cession viennoise organisait dĂ©jĂ sa quatorziĂšme exposition. Celle-ci avait pour thĂšme la musique de Ludwig van Beethoven. Les artistes de la SĂ©cession viennoise avaient lâambition de crĂ©er une « Ćuvre dâart totale », concept nĂ© dans lâAllemagne moderne du XIXĂšme siĂšcle et consistant Ă fusionner diverses disciplines artistiques dans une seule et mĂȘme grande Ćuvre dâart. Ainsi, ils avaient dĂ©cidĂ© de mĂȘler lâarchitecture, la peinture, la musique et la sculpture au sein dâune Ćuvre consacrĂ©e Ă reprĂ©senter lâĆuvre de Beethoven. Lâarchitecte autrichien Josef Hoffman crĂ©a pour lâoccasion un monument qui serait Ă la fois un hommage Ă Beethoven et un espace dâexposition pour lâensemble des Ćuvres de lâexposition. Parmi ces Ćuvres, on retrouvait une frise murale de sept panneaux illustrant la NeuviĂšme Symphonie de Beethoven, peinte par Gustav Klimt.
La premiĂšre dĂ©cennie du XXĂšme siĂšcle aura Ă©tĂ© pour Gustav Klimt une pĂ©riode de productivitĂ© Ă©norme : il fit preuve dâune crĂ©ativitĂ© sans limite, affirma son style et peignit les tableaux que lâhistoire a aujourdâhui retenus.
Vers 1902, Gustav Klimt voyagea en Italie, oĂč il visita la Basilique San Vitale Ă Ravenne. Il fut subjuguĂ© par les mosaĂŻques de style byzantin qui tapissent les murs et plafonds Ă lâintĂ©rieur de lâĂ©difice. Câest suite Ă ce voyage quâil dĂ©cida dâintĂ©grer dans ses tableaux des Ă©lĂ©ments dorĂ©s, comme le papier dorĂ© et la feuille dâor, qui rendront son style reconnaissable entre mille. Câest alors que commença la fameuse pĂ©riode du « Cycle dâOr » chez Gustav Klimt. Les tableaux quâil peignit durant ces annĂ©es-lĂ Ă©taient en grande partie des portraits, souvent de femmes, oĂč lâor Ă©tait omniprĂ©sent et venait sublimer le modĂšle. Parmi les Ćuvres du « Cycle dâOr » de Gustav Klimt, on compte notamment Les Serpents dâeau, Portrait dâAdĂšle Bloch-Bauer, DanaĂ© ou Le Baiser, Ćuvre qui reste aujourdâhui la plus connue de lâartiste.
En 1904, le banquier belge Adolphe Stoclet, admiratif de son travail, lui commande une fresque murale pour dĂ©corer la salle Ă manger de son futur palais de luxe, quâil faisait construire Ă Bruxelles. Ce palais serait rĂ©alisĂ© par lâarchitecte Josef Hoffman. Gustav Klimt prĂ©pare une mosaĂŻque en trois tableaux : LâAttente, LâArbre de Vie et LâAccomplissement. Cette Ćuvre est une fois de plus un magnifique tĂ©moignage du style sans pareille de Gustav Klimt.
Entre 1907 et 1908, Gustav Klimt peignit son plus grand chef-dâĆuvre, Le Baiser. A ce moment-lĂ , la SĂ©cession viennoise connaissait de plus en plus de dissensions au sein du groupe dâartistes et quelques-uns dâentre eux dĂ©cidĂšrent dâen sortir, notamment Gustav Klimt, Koloman Moser, Carle Moll et Otto Wagner.
4. Changement de style et fin de carriĂšre
LâannĂ©e 1909 marqua la fin du « Cycle dâOr » de Gustav Klimt. Celui-ci commença Ă sâintĂ©resser Ă dâautres gammes de couleurs et fit Ă©voluer son style. Il se mit Ă peindre Ă©galement de plus en plus de paysages, fortement influencĂ© par les impressionnistes, notamment Georges Seurat et Vincent Van Gogh. Parmi ses paysages les plus connus, on cite Le Pommier, Paysage de jardin italien ou des reprĂ©sentations de lâAttersee, un lac de montagne oĂč il se rendait avec sa compagne Emilie Flöge et sa belle-famille tous les Ă©tĂ©s.
MalgrĂ© son attrait nouveau pour les paysages et les reprĂ©sentations bucoliques, lâartiste ne cessa pas pour autant de peindre des portraits. Il continuait Ă rĂ©pondre aux commandes que lui faisaient de riches bourgeois et aristocrates qui Ă©taient fascinĂ©s par sa maĂźtrise de lâart dĂ©coratif et ses compositions pleines de couleurs et de dĂ©tails. Il continua Ă©galement Ă peindre des portraits de femmes nues, posant langoureusement. Sa participation en 1910 Ă la Biennale de Venise lui redonna le succĂšs et la rĂ©putation quâil avait connus avant le scandale des trois tableaux de lâUniversitĂ© de Vienne. En 1917, lâartiste fut dĂ©clarĂ© membre honoraire de lâAcadĂ©mie des Arts de Vienne et de lâAcadĂ©mie des Arts de Munich.
LâannĂ©e suivante, il dĂ©cĂ©da dâune congestion cĂ©rĂ©brale. Il fut enterrĂ© Ă Vienne.
DĂ©criĂ© durant une bonne partie de sa carriĂšre, Gustav Klimt laissa derriĂšre lui un hĂ©ritage qui aura eu une influence majeure sur lâhistoire de lâart. Et pourtant, cet hĂ©ritage fut Ă maintes reprises compromis ! En effet, alors quâil Ă©tait Ă lâhĂŽpital, aux portes de la mort, son atelier fut cambriolĂ© et le voleur emporta certaines de ses Ćuvres. Gustav Klimt avait lĂ©guĂ© la moitiĂ© de ses biens Ă sa muse et bien-aimĂ©e, Emilie Flöge. Mais en 1945, un incendie se dĂ©clara dans lâappartement de la couturiĂšre Ă Vienne, dĂ©truisant de nombreux objets personnels de Gustav Klimt, en mĂȘme temps quâune grande partie de la collection de robes cousues par Emilie. Cette mĂȘme annĂ©e, les nazis volĂšrent Ă©galement les Ćuvres de Gustav Klimt et les brĂ»lĂšrent au cours dâun autodafĂ©. A part quelques rares peintures comme la Frise Beethoven, toujours prĂ©sente Ă lâintĂ©rieur du Palais de la SĂ©cession, il ne reste des Ćuvres de Klimt que des reproductions et des photographies, dâabord en noir et blanc et qui furent colorisĂ©es par la suite.
II â LâĆuvre de Gustav Klimt
ConsidĂ©rĂ© comme lâun des artistes Ă lâorigine de la rupture opĂ©rĂ©e aux XIXĂšme et XXĂšme siĂšcles entre lâart ancien (art acadĂ©mique) et lâart moderne (art nouveau), Gustav Klimt a livrĂ© au cours de sa carriĂšre artistique des Ćuvres uniques et extrĂȘmement complexes. En effet, on retrouve dans ses peintures un mĂ©lange de trĂšs nombreux styles, techniques et concepts. Ses Ćuvres sont Ă la croisĂ©e des chemins entre le naturalisme, le symbolisme, lâimpressionnisme, lâabstrait, le figuratif, lâart dĂ©coratif et lâallĂ©gorie. On y retrouve de lâironie, des rĂ©fĂ©rences bibliques et des rĂ©fĂ©rences aux civilisations antiques. Aujourdâhui, il est impossible de ne pas reconnaĂźtre un tableau de Klimt, tant ses peintures sont originales, personnelles et ancrĂ©es dans la mĂ©moire collective.
LâĆuvre de Gustav Klimt comprend prĂšs de 230 tableaux. Lâun de ses thĂšmes rĂ©currents est la femme. Gustav Klimt la reprĂ©sente belle, sensuelle, fĂ©minine et forte. Au cours de sa carriĂšre, il rĂ©alisa beaucoup de portraits de femmes de la bourgeoisie ou de lâaristocratie viennoise, comme par exemple Sonja Knips en 1898, Serena Lederer en 1899 ou Adele Bloch-Bauer en 1907, ce dernier portrait Ă©tant lâun de ses plus cĂ©lĂšbres. En-dehors des portraits, un grand nombre dâĆuvres de Gustav Klimt reprĂ©sentent des femmes, quâelles soient le sujet principal ou un Ă©lĂ©ment du tableau, comme la peinture Les Trois Ăges de la femme ou les peintures faisant rĂ©fĂ©rence Ă des personnages bibliques ou de la mythologie grecque (Judith I et Judith II, DanaĂ©).
Le second thĂšme qui revient de maniĂšre rĂ©currente dans lâĆuvre de Gustav Klimt est le paysage. Lâartiste peignait des fleurs, des arbres, des jardins, mais aussi des paysages de montagne (notamment le lac lâAttersee). Au total, 54 tableaux de Gustav Klimt sont des paysages. Lâartiste commença la peinture de paysages dĂšs le tout dĂ©but de sa carriĂšre, alors quâil cherchait encore son style. Il mit ce style entre parenthĂšse lorsquâil fĂ»t dans sa pĂ©riode du « Cycle dâOr » mais il y revint Ă la fin de sa carriĂšre. Entre-temps, il avait connu et admirĂ© les Ćuvres impressionnistes et symbolistes et il avait affirmĂ© son style en total rupture avec lâart acadĂ©mique classique : tout cela sâest largement ressenti dans sa maniĂšre de peindre des paysages Ă la fin de sa vie.
III â Les tableaux les plus reprĂ©sentatifs de Gustav Klimt
1. Frise Beethoven, 1902-1903
Cette frise en sept panneaux est prĂ©sentĂ©e publiquement pour la premiĂšre fois en 1902, lors de la quatorziĂšme exposition de la SĂ©cession viennoise. Cette fresque monumentale de plus de 34 mĂštres de long sur plus de 2 mĂštres de haut vient dĂ©corer lâintĂ©rieur dâun monument rĂ©alisĂ© par lâarchitecte Josef Hoffman, rendant hommage Ă Ludwig van Beethoven et Ă lâune de ses Ćuvres majeures, la NeuviĂšme Symphonie. Elle sâĂ©tend sur trois murs !

Dans cette fresque murale, Gustav Klimt illustre le cĂ©lĂšbre morceau de Beethoven en peignant sa propre conception de la vie et des arts. Il y reprĂ©sente la souffrance des hommes, les forces du mal qui provoquent ces souffrances (incarnĂ©es par TyphĂ©e, un monstre qui dans la mythologie grecque symbolise le chaos et sept femmes qui sont des allĂ©gories de la folie, la maladie, la mort, la lascivitĂ©, le chagrin et lâintempĂ©rance) ainsi que les arts (reprĂ©sentĂ©s sous les traits de femmes) qui vont guider les hommes vers le bonheur.
Si le sculpteur Auguste Rodin et le compositeur Gustav Mahler expriment leur admiration face Ă cette Ćuvre dâart, elle ne fait pas lâunanimitĂ© au sein des critiques de lâĂ©poque, loin de lĂ . Certains critiquent la morale de lâartiste tandis quâun cĂ©lĂšbre collectionneur qualifie lâĆuvre de « hideuse ».
La Frise Beethoven fut achetĂ©e une premiĂšre fois en 1907, par le riche industriel et collectionneur dâart Carl Reininghaus, puis une seconde fois en 1915, par la famille Lederer. En 1945, lâĆuvre fut confisquĂ©e par le rĂ©gime nazi, avant dâĂȘtre rendue par le gouvernement autrichien Ă la famille Lederer. Enfin, en 1972, la frise fut rachetĂ©e par lâEtat et exposĂ©e Ă lâintĂ©rieur du Palais de la SĂ©cession.
Voici La Frise Beethoven de Gustav Klimt en plusieurs parties :





2. L’Arbre de vie, 1904 Â đł
Tableau central du triptyque LâAttente, LâArbre de Vie et LâAccomplissementž cette peinture est restĂ©e lâune des plus connues de Gustav Klimt. Câest aussi lâune des plus symboliques et un excellent exemple dâArt Nouveau. Sur le tableau de gauche, LâAttente, Gustav Klimt a reprĂ©sentĂ© une femme seule, qui sâoppose au couple qui sâenlace situĂ© sur le tableau de droite, LâAccomplissement. La femme isolĂ©e symboliserait la solitude tandis que le couple symboliserait lâamour. Entre les deux, Klimt a peint un arbre qui est une mĂ©taphore du cycle de la vie. Lâarbre est en effet symbole dâĂ©ternitĂ©, dâĂ©quilibre et de sagesse : Klimt ne lâa pas choisi au hasard !

3. LâEspoir, 1907  đ€đ
Ce tableau est remarquable car Gustav Klimt a Ă©tĂ© lâun des premiers artistes occidentaux Ă reprĂ©senter une femme enceinte dans son art. LâEspoir est un tableau qui concentre tous les thĂšmes chers Ă lâartiste : la femme, la sensualitĂ©, lâamour charnel, la fĂ©conditĂ©, la vie sans cesse renouvelĂ©e dans un cycle sans fin.
4. Portrait d’Adele Bloch-Bauer I, 1907
Ce portrait fut commandĂ© Ă Gustav Klimt par Ferdinand Bloch-Bauer, un industriel devenu riche en produisant et en exportant du sucre. Cet homme Ă©tait passionnĂ© dâart et fascinĂ© par lâArt Nouveau : il soutenait de nombreux artistes, dont Klimt, vers lequel il se tourna pour peindre sa femme Adele. ProfondĂ©ment reconnaissant de lâamitiĂ© et du soutien du couple Bloch-Bauer, Gustav Klimt accepta la commande avec joie et promit Ă Madame Bloch-Bauer de la couvrir dâor.
Pour rĂ©aliser ce portrait, lâartiste sâest donc inspirĂ© des mosaĂŻques byzantines de la Basilique San Vitale de Ravenne, qui lâavaient beaucoup marquĂ© lors de son voyage en Italie. Il crĂ©a alors un portrait richement dĂ©corĂ© sur toile, utilisant de la peinture Ă lâhuile mais aussi le papier dorĂ© et la feuille dâor. La peinture a une majoritĂ© dâor, qui lâemporte sur les couleurs : câest ainsi que lâa voulu lâartiste, qui considĂ©rait que lâor symbolisait la fĂ©minitĂ© et la sensualitĂ©. On reconnaĂźt le style unique de Gustav Klimt Ă son utilisation de lâor en abondance, mais aussi Ă la prĂ©cision des traits des visages quâil peignait : le portrait dâAdele Bloch-Bauer ne fit pas exception Ă la rĂšgle et encore une fois, le modĂšle est Ă©tonnamment ressemblant et dĂ©finitivement reconnaissable. Une habitude sans doute gardĂ©e de ses annĂ©es de peinture naturaliste⊠Gustav Klimt mit trois ans Ă rĂ©aliser ce portrait, quâil prĂ©senta en 1907. Cinq ans plus tard, il rĂ©alisa un second portrait dâAdele Bloch-Bauer, Portrait dâAdele Bloch-Bauer II : la femme de Ferdinand Bloch-Bauer fut lâun des seuls modĂšles, en-dehors dâEmilie Flöge, que lâartiste peignit plus dâune fois.
En 1938, le portrait fut malheureusement spoilĂ© par les nazis, puis rendu Ă lâEtat autrichien, qui lâexposa au sein du musĂ©e du BelvĂ©dĂšre de Vienne. En 2004, la niĂšce du couple Bloch-Bauer, Maria Altmann, gagna un long procĂšs contre lâEtat autrichien, au terme duquel elle put rĂ©cupĂ©rer le tableau. Puis la peinture changea Ă nouveau de mains lorsquâelle fut achetĂ©e lors dâune vente aux enchĂšres par le trĂšs riche homme dâaffaires Ronald Lauder pour une valeur de 135 millions de dollars. Cette peinture Ă lâhistoire mouvementĂ©e est dĂ©sormais exposĂ©e au sein de la Neue Galerie de New York.
5. Le Baiser, 1908 
Aujourdâhui lâĆuvre la plus connue de Gustav Klimt, Le Baiser fut pourtant peinte durant une pĂ©riode difficile de la carriĂšre de lâartiste. Klimt venait de voir son projet de la dĂ©coration de lâAula Magna refusĂ©, il avait Ă©tĂ© contraint dâannuler la commande et de rendre lâavance qui lui avait Ă©tĂ© faite. Son premier tableau prĂ©sentĂ© pour ce projet, La MĂ©decine, avait Ă©tĂ© trĂšs violemment critiquĂ© : on lui avait reprochĂ© dâavoir peint une Ćuvre Ă©rotique, destinĂ©e Ă pervertir la jeunesse universitaire. On qualifiait son Ćuvre de « pornographique » et on questionnait sa propre santĂ© mentale. Ces critiques furent trĂšs dures pour Gustav Klimt : aprĂšs avoir Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme lâun des plus importants artistes-dĂ©corateurs de lâempire austro-hongrois au sein de la Compagnie des artistes, il voyait sa carriĂšre prendre un tournant radicalement diffĂ©rent. Son Ćuvre et son style Ă©taient dĂ©criĂ©s et dĂ©nigrĂ©s. Plus aucune institution publique ne voulait faire appel Ă ses services. Gustav Klimt remettait ses choix, son travail et son style en question et surtout, il avait maintenant mauvaise rĂ©putation auprĂšs du public viennois encore trĂšs puritain. Et ce nâĂ©tait pas tout : lâartiste venait de quitter la SĂ©cession viennoise et il se retrouvait Ă prĂ©sent seul.
Câest dans ce contexte que Gustav Klimt peignit Le Baiser. MalgrĂ© les critiques, il refusait de retirer de ses Ćuvres les rĂ©fĂ©rences Ă lâamour charnel. Lâun des principaux fondements de la SĂ©cession viennoise Ă©tait la reprĂ©sentation dans lâart de « ce que lâon ne doit pas peindre » et mĂȘme sâil ne faisait plus partie de ce groupe, Gustav Klimt en avait Ă©tĂ© le crĂ©ateur et le prĂ©sident et il sâidentifiait toujours Ă sa vision de lâart.
Il prĂ©senta son tableau en 1908, lors de la Kunstschau 1908, une exposition quâil avait lui-mĂȘme organisĂ©e en collaboration avec son ami architecte Josef Hoffman. Une fois de plus, le style de Klimt et la dimension Ă©rotique de sa peinture dĂ©plurent : les critiques furent incendiaires et lâexposition fut un Ă©chec financier. Cependant, la lĂ©gende du Baiser de Gustav Klimt Ă©tait dĂ©jĂ en marche : le gouvernement de Vienne pressentit en effet que cette peinture avait le potentiel pour devenir une vĂ©ritable rĂ©fĂ©rence dans lâhistoire de lâart et il acquit le tableau avant mĂȘme la fin de lâexposition.
Le Baiser reprĂ©sente un couple enlacĂ©. Lâhomme et la femme prĂ©sents sur le tableau auraient Ă©tĂ© inspirĂ©s Ă Gustav Klimt par lui-mĂȘme et sa compagne Emilie Flöge. Cette Ćuvre est typique du style de Klimt : de la couleur or omniprĂ©sente aux dĂ©cors abstraits, en passant par la reprĂ©sentation trĂšs prĂ©cise du visage fĂ©minin, par lâexpression de la sensualitĂ© et par la prĂ©sence de symboles. Le couple est en effet une allĂ©gorie de lâamour Ă©ternel, Ă la fois fragile et fort. On peut Ă©galement noter que sur ce tableau, le visage de lâhomme est dissimulĂ© tandis que celui de la femme est parfaitement visible. Une fois de plus, Gustav Klimt met la femme au centre de sa peinture et une fois de plus, elle est reprĂ©sentĂ©e sous les traits dâune femme fatale, fĂ©minine et sensuelle. Pas de doutes, il sâagit bel et bien dâune Ćuvre du « Cycle dâOr » de Gustav Klimt !
Ce Baiser est lâĆuvre de Klimt qui a eu le plus dâinfluence sur la culture moderne, que ce soit lâart, la littĂ©rature ou encore le cinĂ©ma. Effectivement, dans son film Dracula de 1992, le rĂ©alisateur Francis Ford Coppola nâa pas hĂ©sitĂ© Ă sâinspirer du tableau de Klimt pour imaginer la robe que porte le vampire dans la scĂšne finale.
6. Judith II, 1909
FascinĂ© par les femmes et, entre autres, par leur reprĂ©sentation dans la Bible, Gustav Klimt a consacrĂ© deux de ses tableaux au personnage de Judith. Dans le premier, peint en 1901 et intitulĂ© Judith et Holopherne, il faisait rĂ©fĂ©rence Ă une scĂšne de lâAncien Testament dans laquelle Judith coupe la tĂȘte du gĂ©nĂ©ral babylonien Holopherne, qui menace le peuple juif. Ce tableau reprĂ©sente le personnage de Judith, symbole de la femme fatale, dans une pose sensuelle, mais on ne voit pas le personnage dâHolopherne.
En 1909, Gustav Klimt peignit un second tableau intitulĂ© Judith II dans lequel le personnage de Judith est toujours une femme fatale et sensuelle, Ă moitiĂ© dĂ©nudĂ©e. Cependant, cette fois-ci lâartiste a choisi de reprĂ©senter la tĂȘte dâHolopherne, dans les mains de Judith. Tandis que le premier tableau met en avant seulement le cĂŽtĂ© sensuel et « femme fatale » du personnage, le second tableau montre sa dualitĂ©, entre beautĂ© et cruautĂ©.
Cette Ćuvre est parfois appelĂ©e SalomĂ©, en rĂ©fĂ©rence au personnage du Nouveau Testament qui est lâĂ©quivalent de Judith. SalomĂ© est une princesse juive qui, aprĂšs avoir charmĂ© son beau-pĂšre le roi, se voit accorder lâun de ses souhaits. Elle demande alors la tĂȘte de Jean-Baptiste, qui sâoppose au mariage de sa mĂšre avec son beau-frĂšre, sur un plateau. Ainsi, ce rĂ©cit est Ă©galement une interprĂ©tation possible du tableau de Gustav Klimt.