Incompris de son vivant, Paul Gauguin est aujourdâhui considĂ©rĂ© comme lâun des artistes majeurs de la fin du XIXĂšme siĂšcle mirziamov.ru . FascinĂ© par les contrĂ©es exotiques et lointaines, le peintre nâa cessĂ© de voyager pour encore et toujours enrichir son inspiration, son style et sa palette. Aujourdâhui, on retient surtout de lui ses scĂšnes de la vie courante Ă Tahiti. Chef de file du primitivisme, prĂ©curseur de lâart moderne, Paul Gauguin nâa pas terminĂ© dâinspirer les nouvelles gĂ©nĂ©rations dâartistes en quĂȘte de modernitĂ©, dâoriginalitĂ© et de spiritualitĂ©.
I â La vie de Paul Gauguin
1. Son enfance
Paul Gauguin est nĂ© le 7 juin 1848 Ă Paris. Son pĂšre Clovis Gauguin Ă©tait journaliste pour Le National, un journal RĂ©publicain, tandis que sa mĂšre Aline Chazal Ă©tait originaire dâune famille de propriĂ©taires terriens au PĂ©rou. Suite Ă lâĂ©lection de NapolĂ©on Bonaparte comme PrĂ©sident de la RĂ©publique en 1848, Clovis Gauguin dĂ©cida de fuir la France en emmenant sa famille vivre Ă Lima. Durant le voyage en bateau partant de France pour aller au PĂ©rou, le pĂšre de Paul Gauguin dĂ©cĂ©da. La famille Gauguin vĂ©cut alors sur lâune des terres de la famille maternelle dâAline Chazal : ils y restĂšrent jusquâen 1855.
A lâĂąge de sept ans, Paul Gauguin Ă©tait donc de retour en France. Sa famille sâinstalla prĂšs dâOrlĂ©ans, oĂč il passa toute sa scolaritĂ©.
2. De la Marine aux affaires
Celui que lâon connaĂźt aujourdâhui pour ses peintures exerça pourtant plusieurs mĂ©tiers avant de devenir peintre. AprĂšs plusieurs Ă©checs pour entrer Ă lâEcole Navale de Paris, Paul Gauguin Ă©tudia au LycĂ©e Pothier dâOrlĂ©ans, mais il nâabandonna pas pour autant son rĂȘve de faire partie de la Marine. A lâĂąge de dix-sept ans, il fut enrĂŽlĂ© dans la Marine marchande. Ensuite, il fit son service militaire dans la Marine Nationale et participa Ă la guerre de 1870. En avril 1871, il rentra au Port de Toulon et prit la dĂ©cision de quitter la Marine.
Au cours de ces six ans passĂ©s au sein de la Marine Française, Paul Gauguin avait appris le dĂ©cĂšs de sa mĂšre. De son vivant, celle-ci avait dĂ©signĂ© lâhomme dâaffaire Gustave Arosa comme tuteur lĂ©gal pour son fils. Gustave Arosa initia Paul Gauguin aux affaires et celui-ci devint courtier en valeurs immobiliĂšres. Il vivait alors Ă Paris. Peu aprĂšs, il rencontra la Danoise Mette-Sophie Gad, quâil Ă©pousa et avec qui il eut par la suite cinq enfants. Il vĂ©cut ainsi plusieurs annĂ©es avec sa famille, Ă Paris, dans un milieu bourgeois.
3. Ses débuts en peinture
Gustave Arosa Ă©tait un grand amateur dâart et il aimait particuliĂšrement lâart impressionniste. En 1874, il prĂ©senta Paul Gauguin Ă son ami Camille Pissarro. Câest ainsi que Paul Gauguin commença Ă frĂ©quenter le cercle des peintres impressionnistes. Il commença Ă sâintĂ©resser lui aussi Ă la peinture, au point de se mettre lui-mĂȘme Ă peindre en amateur. Il peignit sa toute premiĂšre toile en 1873 et assista aux expositions impressionnistes de 1879, 1880, 1881, 1882 et 1886.
En 1882, le marchĂ© de la Bourse Ă Paris sâeffondra, obligeant Paul Gauguin Ă sâen retirer. Le jeune peintre amateur vit dans cet Ă©vĂ©nement une excellente opportunitĂ© de se consacrer pleinement Ă son art et de sâessayer au mĂ©tier dâartiste-peintre. En 1884, il dĂ©mĂ©nagea Ă Rouen avec sa famille pour ĂȘtre prĂšs de son ami et mentor, Camille Pissarro. Il y resta dix mois durant lesquels il peignit prĂšs de quarante tableaux. Il ne parvint cependant pas Ă trouver le succĂšs escomptĂ© avec son art.
La famille Gauguin Ă©tant de plus en plus pauvre, le peintre, sa femme et leurs cinq enfants furent contraints de sâinstaller Ă Copenhague au sein de la belle-famille de Paul Gauguin. Celui-ci eut des difficultĂ©s Ă sâadapter au mode de vie danois. En 1885, il dĂ©cida de rentrer seul Ă Paris, laissant contre son grĂ© sa femme et ses enfants au Danemark puisquâil ne pouvait plus subvenir Ă leurs besoins. Il se lança dans la cĂ©ramique, rĂ©alisant plus de 50 Ćuvres en collaboration avec le sculpteur Ernest Chaplet.
LâannĂ©e suivante, Paul Gauguin sĂ©journa quelques temps Ă Pont-Aven en Bretagne. Il y rencontra lâartiste Emile Bernard. Celui-ci lâintroduisit au synthĂ©tisme, un courant pictural dĂ©rivĂ© du symbolisme qui prĂŽne le rejet des dĂ©tails, lâutilisation dâaplats de couleurs et de contours visibles, la gĂ©omĂ©trisation des formes et la reprĂ©sentation des surfaces en deux dimensions. Le synthĂ©tisme est un courant artistique plutĂŽt proche du nabisme et il y est souvent associĂ©. Paul Gauguin Ă©tait alors en pleine phase de recherche artistique : il sâinformait et expĂ©rimentait sans cesse. SĂ©duit par le synthĂ©tisme, il sâen inspira grandement par la suite.
Il rencontra également à Pont-Aven le peintre Charles Laval qui lui parla des ßles tropicales et notamment de Taboga, une ßle du Golfe de Panama. A son retour à Paris, Paul Gauguin rencontra aussi Vincent Van Gogh, qui devint par la suite un trÚs bon ami.
En 1887, Paul Gauguin partit avec Charles Laval Ă Taboga. Ils travaillĂšrent dans la construction du Canal de Panama dans le but de rĂ©unir assez dâargent pour partir Ă la Martinique, ce quâils firent au mois de juin 1887. Ă la Martinique, Paul Gauguin et Charles Laval vĂ©curent dans des conditions prĂ©caires, avec peu dâargent. Mais le peintre parisien se trouva trĂšs inspirĂ© par les magnifiques paysages de lâĂźle, ses couleurs et ses lumiĂšres. Egalement inspirĂ© par le pointillisme, il peignit dix-sept toiles durant son sĂ©jour de seulement quelques mois. En octobre, Il fut contraint de quitter la Martinique prĂ©maturĂ©ment, laissant derriĂšre lui Charles Laval. Il Ă©tait en effet atteint de dysenterie et avait Ă©galement attrapĂ© le paludisme. Il reprit donc le bateau pour la mĂ©tropole, Ă contrecĆur puisque son sĂ©jour Ă la Martinique avait Ă©tĂ© selon lui une expĂ©rience qui lâavait changĂ© Ă jamais. « LâexpĂ©rience que jâai faite Ă la Martinique est dĂ©cisive. LĂ seulement je me suis senti vraiment moi-mĂȘme, et câest dans ce que jâai rapportĂ© quâil faut me chercher si on veut savoir qui je suis, plus encore que dans mes Ćuvres de Bretagne » Ă©crivit-il dans une lettre de 1891.
4. LâĂ©cole de Pont-Aven
DĂšs son retour en France mĂ©tropolitaine, Paul Gauguin passa quelques temps Ă Paris avant de retourner en Bretagne, oĂč il rejoignit les peintres de lâĂ©cole de Pont-Aven. Ce nom dĂ©signe aujourdâhui un groupe dâartistes venus Ă cette Ă©poque peindre dans le village alors tranquille de Pont-Aven : ces artistes se cĂŽtoyaient, parfois collaboraient, mĂȘme sâils Ă©taient issus dâhorizons et dâĂ©coles trĂšs diffĂ©rentes. A dĂ©jĂ presque quarante ans, Paul Gauguin Ă©tait plus ĂągĂ© que la plupart des autres artistes mais il trouva vite sa place dans ce milieu dâexpĂ©rimentations. Les artistes de Pont-Aven peignaient dans des styles divers et variĂ©s allant du synthĂ©tisme au postimpressionnisme. Parmi les artistes les plus cĂ©lĂšbres de ce groupe, on retient entre autres Emile Bernard, Paul SĂ©rusier et Maxime Maufra.
En frĂ©quentant lâĂ©cole de Pont-Aven, Paul Gauguin fit encore Ă©voluer son style. Il sâinspira notamment du travail dâEmile Bernard, mais aussi des Ćuvres dâart exotiques, des estampes japonaises et des vitraux datant du Moyen-Ăąge. A travers son travail, Paul Gauguin cherchait Ă crĂ©er des Ćuvres modernes et novatrices mais qui auraient Ă©galement une dimension spirituelle. Il rĂ©alisa ainsi les Ćuvres inspirĂ©es de la Bible Le Christ Jaune (1889) et La vision aprĂšs le sermon (1888). Cette derniĂšre inspira par la suite toute une gĂ©nĂ©ration dâartistes modernes : le peintre cubiste Pablo Picasso, le peintre fauviste Henri Matisse et le peintre expressionniste Edvard Munch.
En 1888, Vincent Van Gogh invita Paul Gauguin Ă le rejoindre Ă Arles, oĂč il sâĂ©tait installĂ© au mois de fĂ©vrier. Dans ses lettres, le peintre nĂ©erlandais vanta les mĂ©rites de la lumiĂšre et des couleurs de la Provence. Paul Gauguin se dĂ©cida alors Ă partir au mois dâoctobre 1888. Les deux amis Ă©taient tous les deux dans une phase dâintense crĂ©ativitĂ©, dâexpĂ©rimentation et dâĂ©volution de leur peinture. Ils collaborĂšrent sur plusieurs toiles, rĂ©alisant notamment chacun un portrait de lâautre. Ils peignirent Ă©galement des natures mortes et des paysages.
Mais la santĂ© mentale de Vincent Van Gogh Ă©tait trĂšs fragile â comme celle de Paul Gauguin, dâailleurs, qui tentera de se suicider plusieurs annĂ©es plus tard. Le 23 dĂ©cembre 1888, une grave dispute Ă©clata entre les deux amis. Lâobjet de la dispute concernait notamment le tableau de Paul Gauguin intitulĂ© Van Gogh peignant des tournesols, une toile dont le peintre nĂ©erlandais aurait dit : « Câest bien moi, mais devenu fou ». Vincent Van Gogh menaça Paul Gauguin avec un rasoir, avant de le retourner contre lui-mĂȘme pour se couper lâoreille droite.
Suite Ă cet incident, Paul Gauguin rentra Ă Paris. LĂ -bas, il frĂ©quenta les poĂštes symbolistes tels quâArthur Rimbaud, Paul Verlaine et StĂ©phane MallarmĂ©. Durant cette pĂ©riode, il fit Ă©galement plusieurs sĂ©jours en Bretagne.
5. Paul Gauguin en Polynésie
MalgrĂ© un travail acharnĂ© et une constante recherche dâĂ©volution, Paul Gauguin ne parvenait pas Ă bien vivre de son art. Ses tableaux se vendaient trĂšs peu, voire pas du tout. Lâartiste commença Ă ressentir de la nostalgie pour la vie dans les Ăźles, oĂč lâinspiration venait de maniĂšre plus spontanĂ©e. Il songea alors Ă repartir vers une contrĂ©e tropicale. HĂ©sitant entre Java, Madagascar, le Tonkin ou Tahiti, Paul Gauguin se dĂ©cida finalement pour cette derniĂšre, dont il Ă©tait lâobjet dans lâouvrage Le Mariage de Loti quâil avait prĂ©cĂ©demment lu.
Avant de partir, il Ă©crivit dans une lettre : « Je pars pour ĂȘtre tranquille, pour ĂȘtre dĂ©barrassĂ© de l’influence de la civilisation. Je ne veux faire que de l’art simple ; pour cela, j’ai besoin de me retremper dans la nature vierge […] sans autre prĂ©occupation que de rendre, comme le ferait un enfant, les conceptions de mon cerveau avec l’aide seulement des moyens d’art primitifs, les seuls bons, les seuls vrais ».
Le peintre dĂ©barqua Ă Papeete, la capitale de Tahiti, en juin 1891. Il sây plĂ»t instantanĂ©ment. TrĂšs inspirĂ© par les traditions et la culture locale, il commença Ă rĂ©aliser des sculptures et gravures sur bois. Assez vite, il rencontra la jeune Teha’amana, treize ans, qui devint sa compagne et son modĂšle. TrĂšs inspirĂ© par lâart africain et lâart polynĂ©sien, Paul Gauguin peignait des Ćuvres aux formes simplifiĂ©es, hautes en couleurs, affranchies des contraintes classiques de la peinture occidentales telles que la perspective ou le rĂ©alisme.
En juillet 1893, il rentra en France avec 66 toiles polynĂ©siennes. Il y sĂ©journa quelques temps et exposa 46 tableaux ainsi que plusieurs sculptures lors dâune exposition organisĂ©e par le marchand dâart Paul Durand-Ruel. Cependant, les Ćuvres de Paul Gauguin ne trouvĂšrent pas vraiment leur public Ă Paris. Si Edgar Degas apprĂ©cia les toiles de son confrĂšre, Claude Monet et Auguste Renoir se montrĂšrent sceptique, de mĂȘme que la presse parisienne. Paul Gauguin retourna sĂ©journer quelques mois Ă Pont-Aven aux cĂŽtĂ©s de sa compagne Annah dite Annah la Javanaise. Celle-ci Ă©tait ĂągĂ©e de treize ans et Ă©tait rĂ©guliĂšrement son modĂšle. Cependant, en Bretagne, Paul Gauguin fut trahi par sa compagne : celle-ci le quitta, rentra Ă Paris et sâappropria les biens du peintre. En plus de cet incident, un autre Ă©chec le dĂ©cida Ă rentrer Ă Tahiti : en 1895, Paul Gauguin prĂ©senta 49 Ćuvres lors dâune vente publique au sein de lâHĂŽtel Drouot. Loin dâĂȘtre une rĂ©ussite, la vente laissa le peintre sans le sou et dĂ©primĂ©. Il reprit le bateau pour Papeete, oĂč il dĂ©barqua en juillet 1895.
A son retour Ă Tahiti, il rencontra une autre jeune polynĂ©sienne du nom de Pahura, ĂągĂ©e de quatorze ans. Durant cette pĂ©riode, Paul Gauguin fut trĂšs heureux avant de connaĂźtre plusieurs problĂšmes personnels. Il apprit la mort de sa fille Aline (qui Ă©tait sa prĂ©fĂ©rĂ©e) en 1897 et tenta de se suicider Ă lâarsenic. Sa tentative Ă©choua mais le laissa dans une santĂ© fragile. Son cĆur, notamment, Ă©tait fragile mais Paul Gauguin manquait dâargent pour se faire soigner. En plus de cela, il voyait empirer, mois aprĂšs mois, une blessure Ă la jambe quâil avait depuis 1894. Egalement atteint de la syphilis, il Ă©tait sans arrĂȘt malade et affaibli. Sa compagne Pahura le quitta en lui dĂ©robant certains de ses biens. Elle accoucha aprĂšs leur sĂ©paration dâEmile, le fils de Paul Gauguin.
Pauvre, dĂ©primĂ©, affaibli, souhaitant fuir le colonialisme français en PolynĂ©sie Française, le peintre quitta Tahiti en 1901 pour aller sâinstaller aux Ăles Marquises. LĂ -bas, il fit construire une petite maison sur pilotis quâil baptisa, par provocation, la Maison du Jouir. Il rencontra une jeune fille de treize ans, Marie-Rose Vaeoho, qui devint sa compagne et avec qui il eĂ»t une fille. A ce moment-lĂ , lâessentiel de ses revenus lui Ă©taient assurĂ©s par le marchand dâart Ambroise Vollard, avec qui il avait conclu un accord : celui-ci lui envoyait chaque annĂ©e trois-cents francs, contre vingt-cinq tableaux. Aux Ăźles Marquises, Paul Gauguin dĂ©nonça lâadministration coloniale et refusa de payer ses impĂŽts, encourageant les indigĂšnes Ă suivre son exemple. Dans cette pĂ©riode, il fut contraint de rĂ©pondre Ă plusieurs procĂšs, de payer des amendes et de passer quelques temps en prison.
La santĂ© de Paul Gauguin dĂ©clina trĂšs vite. Sa jambe sâaggrava encore, se transformant en eczĂ©ma infectĂ©. Entre sa jambe et la syphilis, le peintre sâaffaiblit trĂšs vite, prit de fortes doses de morphine et dĂ©cĂ©da le 8 mai 1903 dâune crise cardiaque, un peu avant ses 55 ans. Il nâavait pas dĂ©signĂ© dâhĂ©ritier pour ses Ćuvres, celles-ci furent donc vendues (Ă des prix trĂšs bas). Ses sculptures furent, pour la plupart, dĂ©truites. En PolynĂ©sie comme aux Ăles Marquises, Paul Gauguin nâavait pas bonne rĂ©putation : on se souvint de lui comme un homme aigri, qui profitait des indigĂšnes et ne donnait rien en Ă©change.
Quant Ă son Ćuvre, elle ne sera reconnue et apprĂ©ciĂ©e quâaprĂšs sa mort. En 1904, lâĂ©crivain Victor Segalen voyagea en PolynĂ©sie et notamment Ă Tahiti. LĂ -bas, il dĂ©couvrit les Ćuvres de Paul Gauguin et dĂ©cida de les racheter. Victor Segalen avait Ă©tĂ© trĂšs vite sĂ©duit par le style incontournable de Paul Gauguin, les couleurs et les ambiances de ses tableaux. LâĆuvre du peintre lâinspira dâailleurs dans la suite de sa carriĂšre dâĂ©crivain. Il Ă©crivit de nombreux textes au sujet de lâartiste et de ses toiles, qui furent consignĂ©es en 2003 dans le recueil Hommage Ă Paul Gauguin, lâinsurgĂ© des Marquises.
II â LâĆuvre de Paul Gauguin
1. Une approche spirituelle de la peinture
Paul Gauguin considĂ©rait que la dĂ©marche de lâartiste et en particulier du peintre relevait du spirituel. Ainsi, il comparait la crĂ©ation artistique Ă la crĂ©ation du monde par Dieu : tout au long de sa carriĂšre, Paul Gauguin nâa jamais cessĂ© de rechercher, dans son Ćuvre, un sens spirituel allant au-delĂ du rĂ©alisme et de lâesthĂ©tique. Il fut tout dâabord sĂ©duit par les Ćuvres impressionnistes et par leur conception de la peinture comme un moyen de vĂ©hiculer la perception subjective du peintre plutĂŽt que la rĂ©alitĂ© objective du sujet. Lorsquâil dĂ©couvrit le symbolisme Ă Pont-Aven, Paul Gauguin se retrouva encore plus dans cette nouvelle approche de la peinture, au point quâil finit par critiquer lui-mĂȘme lâimpressionnisme.
En synthĂ©tisme et en symbolisme, les peintres cherchent Ă montrer, Ă travers leur art, les mystĂšres cachĂ©s du monde. Pour cela, ils utilisent des images symboliques et ils privilĂ©gient le sens au rendu visuel. A Pont-Aven, Paul Gauguin sâintĂ©ressa beaucoup Ă la mythologie bretonne et il sâen inspira pour rĂ©aliser ses peintures symbolistes. Plus tard, en PolynĂ©sie, il sâintĂ©ressa Ă©galement aux mythes et mystĂšres de la culture polynĂ©sienne, les faisant apparaĂźtre dans ses Ćuvres sous forme dâallusions et de symboles.
Sa conception de lâart influença beaucoup des artistes comme Paul SĂ©rusier, Pierre Bonnard ou encore Maurice Denis, qui plus tard fondĂšrent le groupe artistique qui donna naissance au mouvement Nabi. Durant lâĂ©tĂ© 1888, Paul Gauguin fit la connaissance Ă Pont-Aven de lâartiste Paul SĂ©rusier. Celui-ci lui prĂ©senta une Ćuvre sur laquelle il travaillait Ă ce moment-lĂ : Le Talisman, l’Aven au Bois d’Amour. Paul Gauguin lui donna quelques conseils pour terminer son Ćuvre. Il lui suggĂ©ra notamment de se libĂ©rer du carcan dâimitation hĂ©ritĂ© de la peinture classique mais aussi de ne pas hĂ©siter Ă utiliser des peintures pures et vives et dâexagĂ©rer sa vision pour peindre une perception, une vision intĂ©rieure, plutĂŽt quâune retranscription fidĂšle de ce que lâon voit. Le courant Nabi cherche alors Ă se dĂ©tacher du rĂ©alisme tout en explorant une dimension spirituelle : ainsi, les peintres Nabis sâintĂ©ressaient Ă la philosophie mais aussi Ă des pratiques plus obscures comme la tĂ©osophie ou lâĂ©sotĂ©risme.
2. Primitivisme
Depuis sa petite enfance, quâil passa Ă Lima, Paul Gauguin avait pris le goĂ»t du voyage. Les pays lointains, les terres exotiques et les cultures indigĂšnes dites Ă lâĂ©poque « primitives » semblaient lâappeler. Naturellement, Paul Gauguin sâintĂ©ressa alors de trĂšs prĂšs aux arts premiers, qui commençaient Ă devenir trĂšs Ă la mode dans les milieux parisiens de la fin du XIXĂšme siĂšcle avec notamment la montĂ©e du japonisme.
Rejetant le matĂ©rialisme des sociĂ©tĂ©s occidentales, Paul Gauguin sâexpatria Ă lâĂąge de 43 ans Ă Tahiti, en PolynĂ©sie Française. LĂ -bas, il sâintĂ©ressa aux arts premiers ocĂ©aniens, qui le fascinaient par leur simplicitĂ©, leur schĂ©matisme et leur absence de conventions telles quâelles existaient en Europe, avec les rĂšgles de proportions et de perspective notamment. Ainsi, les arts « primitifs » polynĂ©siens se distinguaient par des formes simples et schĂ©matiques, une absence de perspective et des couleurs vives. Paul Gauguin utilisa tout cela dans ses Ćuvres oĂč il aplanit les volumes, utilise des aplats de couleurs vives, simplifie les formes et renforce les contours.
LâĆuvre de Paul Gauguin peut ainsi ĂȘtre rattachĂ©e au primitivisme, courant artistique nĂ© Ă la fin du XIXĂšme siĂšcle et fortement influencĂ© par la dĂ©couverte en Occident des arts premiers asiatiques, ocĂ©aniens et africains : estampes, sculptures, masques cĂ©rĂ©moniaux⊠Le mouvement fauve menĂ© par Henri Matisse fut lui aussi largement influencĂ© par les arts premiers.
3. Lâinfluence de Paul Gauguin sur lâart moderne
Bien que non reconnu de son vivant, lâart de Paul Gauguin eut tout de mĂȘme une influence majeure sur les gĂ©nĂ©rations dâartistes qui suivirent. Ainsi, Paul Gauguin disait :
« Ne copiez pas trop dâaprĂšs nature. Lâart est une abstraction »
Lui qui se sentait Ă lâĂ©troit dans les conventions artistiques classiques, il attribuait Ă lâartiste une force crĂ©atrice proche de celle de Dieu, qui allait bien plus loin que la simple capacitĂ© de reproduire la nature. Sa vision de lâart Ă©tait donc profondĂ©ment moderne, puisquâelle prĂ©figurait, avant lâheure, lâart abstrait. Si Ă lâĂ©poque, la pensĂ©e de Paul Gauguin Ă©tait totalement novatrice, aujourdâhui elle semble Ă©vidente grĂące Ă lâapparition de lâart abstrait, puis de lâart contemporain.
III â Quelques Ćuvres reprĂ©sentatives de Paul Gauguin
1. La Vision aprĂšs le sermon ou La Lutte de Jacob avec lâange, 1888

Ce trĂšs cĂ©lĂšbre tableau de Paul Gauguin est aujourdâhui exposĂ© au sein de la Galerie Nationale dâEcosse Ă Edimbourg. Le peintre rĂ©alisa cette Ćuvre durant son second sĂ©jour Ă Pont-Aven, aprĂšs son retour de Martinique oĂč il avait enrichi sa palette de couleurs plus vives, plus lumineuses.
La Vision aprĂšs le sermon est un tableau qui marque lâune des plus importantes ruptures dans lâĂ©volution du style artistique de Paul Gauguin. En effet, en peignant cette scĂšne Ă caractĂšre sacrĂ©, il abandonna dâun seul coup tout ce qui le retenait encore Ă lâimpressionnisme. Dans cette toile, Paul Gauguin emprunte aux estampes japonaises, aux vitraux mĂ©diĂ©vaux et au synthĂ©tisme : il se retrouve avec une toile aux formes simplifiĂ©es, aux aplats de couleurs vives et Ă lâabsence de perspective. En cela, cette toile prĂ©figure toutes les Ćuvres que Paul Gauguin rĂ©alisa par la suite, y compris ses toiles polynĂ©siennes.
La Vision aprĂšs le sermon reprĂ©sente un groupe de religieuses bretonnes qui, aprĂšs avoir assistĂ© au sermon du prĂȘtre, ont une vision biblique. Ainsi, le tableau est sĂ©parĂ© en deux parties distinctes. A gauche et en bas, on voit les bretonnes vĂȘtues de leur habit traditionnel, les visages tournĂ©s dans la mĂȘme direction : certaines sont prostrĂ©es en position de priĂšre. Cette premiĂšre partie reprĂ©sente la rĂ©alitĂ© : Ă lâarriĂšre-plan, on peut mĂȘme apercevoir une vache qui rappelle les paysages de la campagne bretonne. La seconde partie du tableau est reprĂ©sentĂ©e sur un fond rouge vif et lâon y voit Jacob en train de se battre avec lâange. La couleur irrĂ©elle du fond rouge rappelle au spectateur que cette scĂšne fait partie intĂ©grante de la vision des religieuses bretonnes.
Pour reprĂ©senter les personnages de Jacob et de lâange en train de se battre, Paul Gauguin a observĂ© des lutteurs bretons et a pris exemple sur eux. Les positions sont donc incroyablement rĂ©alistes.
La vision aprĂšs le sermon est un bon exemple de lâattrait de Paul Gauguin pour les sujets mystiques, religieux et sacrĂ©s.
2. La Orana Maria (Je vous salue Marie), 1891

La Orana Maria (Je vous salue Marie) est lâun des premiers tableaux peints par Paul Gauguin Ă son arrivĂ©e Ă Tahiti, lors de son premier sĂ©jour. DĂšs les premiers jours quâil passa sur place, le peintre fut sĂ©duit par les paysages et les lumiĂšres de Tahiti, la beautĂ© et les couleurs de ses fleurs et de ses oiseaux, le dĂ©paysement quâil ressentait face Ă sa culture et ses habitants. Tout cela contribua Ă nourrir son inspiration.
Dans ce tableau, Paul Gauguin explore Ă nouveau, comme il aimait le faire en Bretagne, la christianitĂ© chez un peuple pourtant trĂšs attachĂ© Ă ses traditions. La Orana Maria (Je vous salue Marie) est une revisite de la Vierge Ă lâenfant. Paul Gauguin a transposĂ© ce personnage biblique mythique, trĂšs important dans la peinture europĂ©enne, dans un dĂ©cor typiquement polynĂ©sien. Ainsi, on retrouve au tout premier plan, Ă droite du tableau, la mĂšre et son enfant. La mĂšre est vĂȘtue dâun parĂ©o aux couleurs typiquement tahitiennes et lâenfant est entiĂšrement nu. A lâarriĂšre-plan on peut voir deux autres femmes vĂȘtues elles aussi de parĂ©os traditionnels, ainsi quâune quatriĂšme femme qui semble ĂȘtre un ange, personnage incontournable des scĂšnes bibliques dans la peinture europĂ©enne. Cependant, lâange est encore une fois transposĂ©e dans la culture polynĂ©sienne : elle est vĂȘtue elle aussi dâun parĂ©o de couleur, aux motifs floraux. Ses ailes Ă©galement trĂšs colorĂ©es, ressemblent Ă celles des oiseaux tahitiens.
Le caractĂšre polynĂ©sien du tableau est encore renforcĂ© par la prĂ©sence, Ă lâarriĂšre-plan, dâun dĂ©cor typiquement tahitien : les montagnes, la plage, la mer, les cases et la vĂ©gĂ©tation. Au premier plan, Ă gauche, le peintre a Ă©galement ajoutĂ© une nature morte de fruits tropicaux.
3. Femmes de Tahiti ,1891

de 69 Ă 91 cm,
MusĂ©e d’Orsay, Paris, France
Alors quâil avait fui la France mĂ©tropolitaine pour Ă©chapper, selon ses propres termes à « cette lutte europĂ©enne aprĂšs lâargent », Paul Gauguin a dĂ©couvert Ă Tahiti un mode de vie beaucoup plus simple, plus libre, plus sain. Les paysages et les traditions tahitiennes lâinspiraient mais surtout, le quotidien des habitants de lâĂźle le fascinait. Dans ses premiĂšres toiles, Paul Gauguin peignait presquâexclusivement des scĂšnes tirĂ©es du quotidien des tahitiennes.
RĂ©alisĂ© en 1891, Femmes de Tahiti reprĂ©sente deux femmes assises sur le sable. Celle de gauche est vĂȘtue du vĂȘtement traditionnel tahitien, le parĂ©o, qui arbore des couleurs vives selon la tradition. Elle porte une fleur blanche exotique Ă son oreille. Sa tĂȘte est baissĂ©e, son regard est plongĂ© dans le vide. A cĂŽtĂ© dâelle et Ă droite du tableau, lâautre femme est pour sa part vĂȘtue dâun vĂȘtement importĂ© par les missionnaires occidentaux, que lâon reconnaĂźt Ă ses manches longues et son col haut. Cette femme est de face et elle tient dans ses mains des fibres de palmier : on peut imaginer quâelle est en train de les tresser pour rĂ©aliser de lâartisanat local.
Paul Gauguin nâa pas peint cette scĂšne telle quâil la voyait. En effet, il aurait fait poser le mĂȘme modĂšle deux fois, dans chaque position. Le modĂšle serait probablement sa compagne de lâĂ©poque, la jeune Teha’amana. Ainsi, on ne sait pas si les deux personnages du tableau de Paul Gauguin sont liĂ©s : est-ce quâelles se connaissent ? Font-elles partie de la mĂȘme famille ?
Paul Gauguin donna cette toile en cadeau au Capitaine Arnaud, en mission Ă Tahiti. Celui-ci le lĂ©gua ensuite Ă sa fille, qui conserva lâĆuvre jusquâen 1920. Le vicomte Guy de Cholet possĂ©da briĂšvement le tableau entre 1920 et 1923, avant de le cĂ©der Ă lâEtat. A partir de ce moment-lĂ , Femmes de Tahiti voyagea dâun musĂ©e Ă lâautre, restant Ă Paris. Il fut dâabord exposĂ© au MusĂ©e du Louvre, puis au MusĂ©e du Luxembourg, puis de nouveau au MusĂ©e du Louvre, puis dans la Galerie Nationale du Jeu de Paume avant dâĂȘtre dĂ©finitivement transportĂ© en 1986 au MusĂ©e dâOrsay, oĂč il se trouve toujours aujourdâhui.
4. Manao Tupapau (LâEsprit des morts veille), 1892

Dans cette toile peinte en 1892, Paul Gauguin reprĂ©senta sa femme et modĂšle, Tehaâamana, allongĂ©e entiĂšrement nue sur un lit. Alors quâelle est Ă plat ventre, son visage est tout de mĂȘme tournĂ© vers le spectateur. A lâarriĂšre-plan, on aperçoit un personnage entiĂšrement vĂȘtu de noir et portant une capuche : selon le titre du tableau, ce personnage serait un « tupapa’u », lâesprit dâune personne dĂ©cĂ©dĂ©e revenue sur Terre. Ces personnages apparaissent beaucoup dans le folklore tahitien.
Lorsquâil ramena cette Ćuvre Ă Paris, Paul Gauguin savait quâil risquait dâĂȘtre accusĂ© dâindĂ©cence. Lui-mĂȘme caractĂ©risait son tableau comme une « Ă©tude de nu polynĂ©sienne dans une position audacieuse, toute nue sur un lit ». Cependant, selon lui, cette toile nâavait pas Ă©tĂ© peinte dans le but de provoquer lâopinion publique. Paul Gauguin souhaitait au contraire rendre hommage Ă ce pan du folklore tahitien, que lâon connaĂźt trĂšs peu en Occident.
Ainsi, pour se dĂ©douaner de toute accusation, il justifia la position de cette femme par sa peur face Ă lâesprit des morts. Pour renforcer le caractĂšre traditionnel du tableau, il ajouta Ă©galement le fameux parĂ©o ornĂ© de motifs de fleurs, placĂ©s sous la couverture blanche.
5. DâoĂč venons-nous ? Que sommes-nous ? OĂč allons-nous ? ,1897-1898

Peinte entre 1897 et 1898 lors de son second sĂ©jour Ă Tahiti, lâĆuvre DâoĂč venons-nous ? Que sommes-nous ? OĂč allons-nous ? devait ĂȘtre une sorte de testament pour Paul Gauguin. En effet, le peintre traversait une pĂ©riode dâintense dĂ©pression : il Ă©tait gravement malade, il Ă©tait affaibli et il venait dâapprendre la mort de sa fille prĂ©fĂ©rĂ©e, Aline. Il ne voyait plus de raison de continuer Ă vivre. Une fois cet immense tableau de quatre mĂštres de large terminĂ©, il prit de lâarsenic mais sa tentative de suicide se solda par un Ă©chec.
DâoĂč venons-nous ? Que sommes-nous ? OĂč allons-nous ? reprĂ©sente le cycle de la vie et de la mort. Etrangement, la lecture du tableau se fait de droite Ă gauche (peut-ĂȘtre faut-il y voir une allusion aux estampes japonaises ?). Tout Ă droite du tableau, Paul Gauguin Ă©voque la naissance grĂące au personnage du bĂ©bĂ©, qui est allongĂ© sur un rocher et entourĂ© de trois femmes nourriciĂšres. Tout Ă gauche, le peintre Ă©voque la vieillesse avec le personnage de la vieille femme, aux cheveux blancs, qui est repliĂ©e sur elle-mĂȘme et semble attendre la mort. Entre les deux, Paul Gauguin reprĂ©sente toutes les facettes de la vie. On aperçoit des adultes en bonne santĂ© : lâun des personnages, Ă lâavant-plan, est occupĂ© Ă cueillir un fruit dans un arbre. On aperçoit Ă©galement la statue sacrĂ©e dâune dĂ©esse tahitienne, que lâartiste a peinte dans une couleur bleue luminescente afin de souligner son caractĂšre magique.
Aujourdâhui, cette Ćuvre phĂ©nomĂ©nale est exposĂ©e aux MusĂ©e des Beaux-arts de Boston.