Aussi bien adulĂ© que critiquĂ© de son vivant, Paul Klee est aujourdâhui un artiste incontournable de la premiĂšre moitiĂ© du XXĂšme siĂšcle. Ce peintre allemand Ă la fois curieux et passionnĂ© passa une grande partie de sa vie Ă chercher son style en travaillant divers supports et techniques artistiques. InspirĂ© dans son art par la musique et ses nombreux voyages, Paul Klee Ă©tait un artiste ouvert, au style unique. Il enseigna lâart et la peinture durant plusieurs annĂ©es, une expĂ©rience qui lui permit dâaffirmer ses idĂ©es : aujourdâhui, elles sont toujours dâactualitĂ© dans les Ă©coles de beaux-arts et chez les artistes contemporains.
I â La vie de Paul Klee
1. Enfance de Klee
Ernst Paul Klee est nĂ© le 18 dĂ©cembre 1879 dans la commune suisse de MĂŒnchenbuchsee, Ă proximitĂ© de Berne. Son pĂšre, Hans Klee, Ă©tait un Allemand originaire de la rĂ©gion de Basse-Franconie, en BaviĂšre, tandis que sa mĂšre, Ida Klee-Frick, Ă©tait originaire de Besançon, qui Ă lâĂ©poque appartenait Ă la Suisse. Bien que nĂ© en Suisse, Paul Klee acquit Ă sa naissance la nationalitĂ© allemande, comme son pĂšre.
Paul Klee est nĂ© au sein dâune famille de musiciens, ce qui par la suite influença toute son Ćuvre artistique, du dĂ©but Ă la fin de sa carriĂšre de peintre. En effet, son pĂšre Ă©tait professeur de musique Ă lâĂ©cole normale de Berne et sa mĂšre avait suivi, dans sa jeunesse, une formation classique de chanteuse dâopĂ©ra au sein du prestigieux conservatoire de Stuttgart. La musique Ă©tait donc omniprĂ©sente chez les Klee. Le jeune Paul montra trĂšs vite un intĂ©rĂȘt pour la musique classique et la musique dâopĂ©ra : Ă lâĂąge de sept ans, ses parents lui firent suivre des cours de piano et de violon. Paul Klee apprit trĂšs rapidement Ă maĂźtriser le violon. Câest Ă lâĂąge de dix ans quâil assista Ă son premier opĂ©ra : en Ă©coutant jouer Le TrouvĂšre de Giuseppe Verdi, il commença Ă dĂ©velopper une vĂ©ritable passion pour le violon. Un an plus tard, il faisait partie de lâorchestre municipal de Berne, au sein duquel il devint vite premier violon.
La musique nâĂ©tait toutefois pas sa seule passion. Paul Klee sâintĂ©ressa Ă lâart dĂšs son plus jeune Ăąge, notamment grĂące Ă sa grand-mĂšre maternelle qui lui apprit Ă dessiner Ă la mine de plomb, au crayon et au pinceau. Les parents de Paul Klee conservĂšrent tous les dessins quâil avait produits durant son enfance et en 1911, lâartiste commença Ă les rassembler dans sa propre collection dâĆuvres dâarts sous le terme de « fantaisistes illustratifs ».
2. Formation artistique
Ă lâadolescence, Paul Klee mit la musique de cĂŽtĂ© pour se consacrer plus sĂ©rieusement au dessin. De tempĂ©rament rebelle, il sâĂ©loigna de la musique dâabord parce quâelle Ă©tait en quelque sorte lâhĂ©ritage de ses parents, mais aussi parce que la musique moderne ne lâintĂ©ressait pas, lui qui avait toujours jouĂ© des morceaux du XVIIIĂšme et du XIXĂšme siĂšcle.
Pour exprimer son esprit rebelle, il dessinait beaucoup, notamment dans les marges de ses cahiers dâĂ©cole, oĂč il caricaturait les figures dâautoritĂ© qui lâentouraient. A la fin de ses Ă©tudes secondaires, lorsquâil obtint le diplĂŽme Ă©quivalent Ă notre baccalaurĂ©at, il fit une demande dâinscription pour entrer Ă lâAcadĂ©mie des Beaux-arts de Munich Ă la rentrĂ©e 1898. Malheureusement, sa candidature fut rejetĂ©e. Il entra alors Ă lâatelier du peintre allemand Heinrich Knirr (qui devint par la suite le portraitiste officiel dâAdolf Hitler). Au sein de cet atelier de peinture, il apprit le dessin figuratif et devint vite le favori dâHeinrich Knirr, qui le considĂ©rait comme son meilleur Ă©lĂšve.
Deux ans aprĂšs son premier Ă©chec, Paul Klee refit une demande dâinscription Ă lâAcadĂ©mie des Beaux-arts de Munich. Fort de son expĂ©rience et de sa technique nouvellement acquise, il fut cette fois-ci sĂ©lectionnĂ©. Aux cĂŽtĂ©s dâautres Ă©tudiants, dont notamment Wassily Kandinsky, il suivit les cours de lâartiste-peintre symboliste Franz von Stuck, qui fut lâun des acteurs majeurs de la SĂ©cession de Munich. Au sein de cet atelier, Paul Klee apprit lâhistoire de lâart, lâanatomie humaine mais aussi de nombreuses techniques artistiques comme la gravure et la sculpture.
Cette annĂ©e-lĂ , Paul Klee rencontra la pianiste allemande Lily Stumpf, la fille dâun mĂ©decin, avec laquelle il se fiança un an plus tard au cours de lâannĂ©e 1901. Peu aprĂšs, il partit voyager avec son camarade dâĂ©cole et ami Hermann Haller, peintre suisse qui se tourna quelques annĂ©es plus tard vers la sculpture. Les deux amis visitĂšrent Rome, Naples, Florence et GĂȘnes, oĂč ils dĂ©couvrirent lâart de la Renaissance, les Ćuvres de Michel-Ange et lâart chrĂ©tien byzantin. En Ă©tudiant lâart italien, Paul Klee eut une rĂ©vĂ©lation : ses propres Ćuvres manquaient cruellement de couleurs. A cette Ă©poque il dessinait encore majoritairement en noir et blanc, souvent Ă lâencre de Chine, et il se rendit compte que sâil voulait insuffler de lâoptimisme dans ses Ćuvres, il devrait apprendre Ă utiliser les couleurs.
AprĂšs ce voyage trĂšs instructif, Paul Klee rentra Ă Berne, chez ses parents. TrĂšs intĂ©ressĂ© par lâart du vitrail, quâil avait dĂ©couvert durant son voyage en Italie, il suivit des cours sur cette technique Ă lâAcadĂ©mie des Beaux-Arts de Berne, ainsi que des cours de gravure. A cette pĂ©riode, il sâinitia Ă©galement Ă la peinture sur verre inversĂ©, quâil rĂ©alisait sur du verre peint en noir. En parallĂšle, lâartiste continua Ă pratiquer le violon au sein dâun orchestre.
A Berne, Paul Klee dĂ©couvrit les Ćuvres du peintre et graveur français Jean-Baptiste Camille Corot, connu pour ses reprĂ©sentations rĂ©alistes de paysages. Il voyageait rĂ©guliĂšrement Ă Munich pour revoir sa fiancĂ©e et lors de ces voyages, il fit la connaissance dâautres artistes qui eux aussi lâinfluencĂšrent fortement, comme le peintre et graveur romantique britannique William Blake et le peintre prĂ©romantique espagnol Francisco de Goya.
En 1905, Paul Klee se rendit avec des amis Ă Paris oĂč il dĂ©couvrit le mouvement impressionniste français, incarnĂ© par Edouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir mais aussi Paul CĂ©zanne et Vincent Van Gogh, dont il admirait les Ćuvres.
LâannĂ©e suivante, il retourna Ă Munich et Ă©pousa Lily Stumpf. Il eut avec elle un unique fils, FĂ©lix, qui vit le jour en 1907. ComblĂ© sur le plan familial, Paul Klee faisait aussi preuve Ă cette Ă©poque dâune curiositĂ© artistique sans limite. Il assistait Ă de nombreuses expositions Ă Munich et se nourrissait de diverses influences pour mĂ»rir son propre style. Parmi ces expositions, certaines Ă©taient consacrĂ©es Ă lâart impressionniste, qui fascinait de plus en plus le jeune peintre. Paul Klee admirait notamment leur maĂźtrise de la lumiĂšre et leur recherche constante de tonalitĂ©s dans les couleurs.
3. Le Cavalier Bleu đđ”
AprĂšs avoir laissĂ© de cĂŽtĂ© ses dessins en noir et blanc Ă la plume et Ă lâencre pour sâessayer Ă la peinture sur verre inversĂ©, Paul Klee fit Ă nouveau Ă©voluer son style. Il sâintĂ©ressa Ă lâeau-forte, une technique de gravure utilisant un acide chimique pour dessiner sur une plaque de mĂ©tal.
Au cours de lâannĂ©e 1910, Paul Klee exposa pour la premiĂšre fois ses Ćuvres au sein de plusieurs lieux en Suisse : le MusĂ©e des Beaux-arts de Berne, le Kunsthaus (musĂ©e des beaux-arts) de Zurich et une galerie dâart Ă Winterthur. Sur un total de 56 Ćuvres exposĂ©es, la plus grande majoritĂ© Ă©tait des eaux fortes.
LâannĂ©e suivante, lâexposition du MusĂ©e des beaux-arts de Berne fut dĂ©placĂ©e Ă BĂąle. Paul Klee rencontra le peintre et illustrateur autrichien Alfred Kubin. Celui-ci acheta lâun de ses tableaux et lui proposa dâillustrer une version du conte philosophique Candide de Voltaire, projet qui lui prit quelques annĂ©es. Dans la version imprimĂ©e finale, cette Ă©dition de Candide comporte 26 illustrations faites par Paul Klee.
En 1911 Ă Munich, lâartiste retrouva lâun de ses anciens camarades dâĂ©cole, Wassily Kandinsky, avec qui il nâavait jamais discutĂ© Ă lâĂ©poque. Cette fois-ci, les deux artistes se liĂšrent dâamitiĂ©. Deux ans plus tĂŽt, Kandinsky avait fondĂ© un collectif dâartistes baptisĂ© « Nouvelle association des artistes munichois », qui prĂŽnait lâexpression et la diffusion des nouvelles formes modernes dâart : nĂ©o-impressionnisme, expressionnisme, art nouveau⊠En 1911, Kandinsky et Franz Marc, peintre expressionniste qui faisait lui aussi partie de la Nouvelle association des artistes munichois, quittĂšrent le collectif pour fonder un autre groupe fortement inspirĂ© par le mouvement expressionniste : Le Cavalier bleu (Der blaue Reiter). Le peintre allemand August Macke et Alfred Kubin se joignirent Ă eux.
Le Cavalier Bleu organisa une premiĂšre exposition de ses Ćuvres le 8 dĂ©cembre 1911. Dâautres artistes, extĂ©rieurs au groupe, comme Robert Delaunay ou le Douanier Rousseau, furent invitĂ©s Ă exposer lors de ce premier Ă©vĂ©nement. Câest ainsi que Paul Klee dĂ©couvrit les Ćuvres de Robert Delaunay, qui lâinspireront fortement par la suite dans son travail des couleurs. Cette exposition fut dâabord mise en place Ă Munich, puis dans dâautres villes dâAllemagne et dâEurope, notamment Berlin, Cologne, Hambourg, Budapest, Helsinki et Oslo.
En fĂ©vrier 1912, Le Cavalier Bleu organisa une seconde exposition Ă Munich, au sein de lâatelier du marchand dâart allemand Hans Goltz, fĂ©ru dâart moderne. Cet Ă©vĂ©nement accueillit plus de 315 Ćuvres dâartistes modernes de tous les horizons. En plus des Ćuvres des membres allemands du Cavalier Bleu (Franz Marc, August Macke), lâexposition montrait les Ćuvres dâartistes français (Robert Delaunay, Georges Braque, AndrĂ© Derain qui Ă©tait lâune des figures majeures du fauvismeâŠ), espagnols (Pablo Picasso) ou encore russes (Kandinsky, Alexej von Jawlensky). Cette fois-ci, Paul Klee participa lui aussi Ă lâexposition du Cavalier Bleu, en tant quâinvitĂ© puisquâil ne se considĂ©rait pas comme membre du groupe.
En parallĂšle de la seconde exposition, Le Cavalier Bleu publia un almanach rĂ©unissant plusieurs textes traitant de lâart moderne, Ă©crits par des artistes, qui expliquaient leur conception de lâart.
AprĂšs la seconde exposition du Cavalier Bleu, Paul Klee partit Ă Paris, oĂč il se lia dâamitiĂ© avec Robert Delaunay. Les deux artistes eurent de longues discussions sur la lumiĂšre en peinture, sujet qui les fascinait lâun comme lâautre. En 1913, Paul Klee traduisit en allemand un texte de Robert Delaunay intitulĂ© « De la lumiĂšre », qui dĂ©taillait justement ces rĂ©flexions sur le rĂŽle de la lumiĂšre en peinture.
LâannĂ©e suivante, Paul Klee partit voyager en Tunisie avec August Macke et un autre ami artiste, le peintre et vitrailliste suisse Louis-RenĂ© Moilliet. Ce voyage marqua un tournant majeur dans sa carriĂšre. Depuis son sĂ©jour en Italie plus de dix ans plus tĂŽt, Paul Klee nâavait cessĂ© dâĂ©tudier la couleur, recherchant le moyen de la mettre en avant dans ses Ćuvres. GrĂące Ă sa dĂ©couverte des impressionnistes et ses discussions avec Robert Delaunay, il avait compris que la couleur allait de pair, systĂ©matiquement, avec la lumiĂšre. Il Ă©tait conscient que sans la maĂźtrise de la lumiĂšre et des tonalitĂ©s, il ne pourrait maĂźtriser la couleur.
Mais câest en Tunisie quâil eut lâintime conviction dâavoir enfin compris tout cela. Dans ce pays oĂč le soleil est omniprĂ©sent, il eut comme un dĂ©clic qui allait influencer sa dĂ©marche artistique durant tout le reste de sa carriĂšre. Dans son journal, il Ă©crivit quâil avait eu la « rĂ©vĂ©lation de la couleur ». Il nota : « La couleur me possĂšde. Point nâest besoin de chercher Ă la saisir. Elle me possĂšde, je le sais. VoilĂ le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre ». Avant son voyage en Tunisie, Paul Klee avait toujours eu lâimpression dâĂȘtre en quĂȘte constante dâinspiration et sans arrĂȘt en train dâapprendre, de se former et de chercher son style. Mais durant son voyage, il sentit que lâinspiration lui Ă©tait venue et quâil avait enfin trouvĂ© le sens quâil voulait donner Ă son art.
4. La PremiĂšre Guerre Mondiale
La PremiĂšre Guerre Mondiale Ă©clata le 28 juillet 1914 avec lâassassinat Ă Sarajevo du prince François-Ferdinand d’Autriche, hĂ©ritier de lâEmpereur dâAutriche-Hongrie, et son Ă©pouse. Cet Ă©vĂ©nement mit fin aux activitĂ©s du Cavalier Bleu, qui avait pourtant de nombreux projets, notamment la publication dâun second almanach. En effet, Kandinsky fut contraint de rentrer dans son pays dâorigine, la Russie, tandis quâAugust Macke et Franz Marc furent appelĂ©s sous les drapeaux, oĂč ils perdirent malheureusement la vie, respectivement en 1914 et 1916.
Quant Ă Paul Klee, il rentra Ă Berne dĂšs quâil entendit parler de la dĂ©claration de guerre, mais il revint ensuite Ă Munich. ProfondĂ©ment marquĂ© par le dĂ©cĂšs de ses deux amis sur le champ de bataille, lâartiste rejetait fĂ©rocement la guerre. Il remarqua alors une explosion de lâart abstrait, quâil expliquait en ces termes : « Plus le monde devient effrayant [âŠ] plus lâart devient abstrait, tandis quâun monde heureux fait sâĂ©panouir un art rĂ©aliste ». Lui-mĂȘme peignait des Ćuvres Ă mi-chemin entre le figuratif et lâabstrait : dans La Chapelle (1917) ou dans Fleurs cĂ©lestes au-dessus de la maison jaune (La maison Ă©lue) (1917), il reprĂ©sentait des paysages mais ceux-ci frisaient lâabstrait avec des formes et couleurs qui sâĂ©loignaient de la rĂ©alitĂ©.
Durant la premiĂšre moitiĂ© de la guerre, son statut dâartiste permit Ă Paul Klee de ne pas ĂȘtre appelĂ© Ă combattre, il put donc continuer Ă exercer son art chez lui, Ă Munich. Mais en 1916, il fut appelĂ© Ă rejoindre la rĂ©serve militaire des forces armĂ©es allemandes. GrĂące Ă son statut de rĂ©serviste, il ne combattait pas dans les tranchĂ©es et surtout, il bĂ©nĂ©ficiait de beaucoup de temps libre, durant lequel il pouvait continuer Ă peindre. Il fut notamment affectĂ© au sein dâune Ă©cole dâaviation allemande, oĂč il Ă©tait chargĂ© de peindre des avions de camouflage. Lui qui avait toujours aimĂ© expĂ©rimenter diffĂ©rentes techniques et diffĂ©rents support pour son art, il rĂ©utilisait Ă©galement la toile dâavion comme support pour sa peinture : Fleurs cĂ©lestes au-dessus de la maison jaune (La maison Ă©lue) par exemple fut peinte Ă lâaquarelle sur une toile dâavion.
Durant la PremiĂšre Guerre Mondiale, Paul Klee eut donc lâopportunitĂ© de continuer Ă exposer et vendre ses Ćuvres. En 1917, une exposition lui fut consacrĂ©e au sein dâune galerie dâart de Berlin et cet Ă©vĂ©nement se solda par un vif succĂšs. Le journal de la Bourse de Berlin publia peu aprĂšs un article trĂšs flatteur Ă propos de Paul Klee, que lâon considĂ©rait alors comme le digne successeur de Franz Marc. Cette Ă©poque fut lâapogĂ©e de sa carriĂšre en termes de notoriĂ©tĂ© et de ventes. En effet, certaines familles riches avaient pu gagner une fortune depuis le dĂ©but de la guerre (grĂące Ă la vente dâarmes notamment) et elles investissaient ensuite cet argent dans lâachat dâĆuvres dâart moderne. Lâexposition de 1917 Ă Berlin avait permis Ă Paul Klee de vendre beaucoup de tableaux. Ensuite, le bouche-Ă -oreille mais aussi la critique publiĂ©e dans le journal de la Bourse lui permirent de continuer Ă vendre.
En parallĂšle de ce succĂšs, Paul Klee fut Ă©galement critiquĂ©. Ses dĂ©tracteurs appuyaient notamment que Paul Klee ne devait son succĂšs et sa carriĂšre quâĂ la guerre et que si elle nâavait pas eu lieu, il serait sans doute restĂ© anonyme. On lui reprochait Ă©galement de faire preuve dâune trop grande indiffĂ©rence face Ă la guerre et ses consĂ©quences sur la population et lâĂ©conomie du pays, alors que lui-mĂȘme lâavait vivement rejetĂ©e en 1915. En rĂ©alitĂ©, il nâen Ă©tait rien. Paul Klee avait Ă©tĂ© profondĂ©ment affectĂ© par la mort de ses amis et lorsquâil correspondait avec Kandinsky, il nâhĂ©sitait pas Ă exprimer ses inquiĂ©tudes concernant la guerre et lâavenir du pays, bien quâil fĂ»t persuadĂ©, comme une grande partie du peuple allemand, que la victoire de lâAllemagne serait rapide.
5. Le Bauhaus
Suite Ă la PremiĂšre Guerre Mondiale, la RĂ©publique des conseils de BaviĂšre fut proclamĂ©e en Allemagne. A ce moment-lĂ , Paul Klee songeait dĂ©jĂ Ă se tourner vers lâenseignement. A la fin de lâannĂ©e 1918, il Ă©crivit un traitĂ© sur la thĂ©orie de lâart et quelques mois plus tard, il se proposa pour enseigner au sein dâune Ă©cole de beaux-arts berlinoise. Malheureusement, sa candidature fut refusĂ©e. Paul Klee loua un atelier dans le chĂąteau Suresnes de Munich oĂč, entre 1919 et 1920, il produisit de lâart Ă profusion, sâessayant Ă de nouvelles techniques et disciplines, comme les pastels ou la sculpture. En 1920, il exposa Ă nouveau ses Ćuvres au sein de la galerie dâart dâHans Goltz : au total, lâexposition prĂ©sentait 160 Ćuvres de Paul Klee.
Le 1er dĂ©cembre 1920, Paul Klee fut nommĂ© pour enseigner au sein du Bauhaus, lâinstitut des arts et mĂ©tiers de Weimar. Il y enseigna dâabord la peinture sur verre, puis lâart du tissage et enfin, le directeur de lâĂ©tablissement, Walter Gropius, lui fit confiance en lui attribuant le statut de « maĂźtre ». Paul Klee enseignait la peinture et bĂ©nĂ©ficiait Ă©galement dâun atelier privĂ© au sein de lâĂ©tablissement, tout cela pour un trĂšs bon salaire. Lâartiste centrait principalement ses cours sur les principes de lâart abstrait. Il resta professeur au Bauhaus durant dix ans et ses Ă©tudiants se disaient satisfaits de son enseignement.
Durant cette pĂ©riode, Paul Klee collabora de nouveau avec Kandinsky, avec qui il donna plusieurs cours sur la thĂ©orie de lâart, et il produisit Ă©galement de nombreux Ă©crits issus de ses cours et confĂ©rences.
Au cĆur de son enseignement au Bauhaus, Paul Klee abordait la notion de « rythme pictural » qui dĂ©finit toute son Ćuvre. Lorsquâil peignait, il sâinspirait de son premier amour, la musique. Il composait sa toile comme on composerait une Ćuvre musicale, en reprĂ©sentant dans les formes et les couleurs le rythme de la musique, les mouvements du chef dâorchestre mais aussi toute la musicalitĂ© que lâon retrouve dans la nature, comme par exemple le rythme des vagues et des marĂ©es.
Suite Ă divers conflits, notamment entre Walter Gropius et Johannes Itten, lâun des enseignants, le Bauhaus de Weimar ferma ses portes et se rĂ©implanta Ă Dessau-Rosslau en 1925. Paul Klee, sa femme Lily et son fils FĂ©lix emmĂ©nagĂšrent avec Kandinsky. Dans les annĂ©es qui suivirent, Paul Klee exposa ses Ćuvres Ă plusieurs reprises, notamment au sein de la Galerie dâHans Goltz Ă Munich et au sein de la Galerie Vavin-Raspail Ă Paris. Lâartiste voyagea Ă©galement plusieurs fois, en France et en Italie. Puis en 1931, il quitta le Bauhaus pour enseigner Ă lâAcadĂ©mie des Beaux-arts de DĂŒsseldorf. Cette mĂȘme annĂ©e, il exposa plus de 250 Ćuvres Ă DĂŒsseldorf.
6. DerniÚres années
Avec la montĂ©e au pouvoir dâHitler, la vie de Paul Klee changea radicalement. Il Ă©tait considĂ©rĂ© comme « juif galicien » et sous ce motif, il fut licenciĂ© de son poste Ă lâAcadĂ©mie des Beaux-arts de DĂŒsseldorf. Son domicile fut sujet Ă perquisition et dĂ©sormais, on lui demandait un « certificat dâaryanitĂ© » pour exposer ses tableaux Ă Berlin.
En 1933, lâhĂŽtel de ville de Dresde accueillit une exposition dâart dit « art dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© », par opposition Ă lâart dit « art racial pur » qui, lui, Ă©tait approuvĂ© par le rĂ©gime nazi. Les Ćuvres dâart concernĂ©es Ă©taient avant tout des Ćuvres dâartistes dâavant-garde, qui Ă©taient qualifiĂ©s de « malades mentaux ». Au sein de cette exposition, 17 tableaux Ă©taient de Paul Klee. Entre 1933 et 1937, lâexposition tourna dans toute lâAllemagne et Paul Klee devint lâune des figures majeures de lâ« art dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© ».
En parallĂšle, les toiles de Paul Klee furent interdites dâexposition en Allemagne, en-dehors des expositions dâart dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© qui Ă©taient mises en place pour ridiculiser les artistes et pour dĂ©finir ce Ă quoi lâart ne devrait pas ressembler. 102 tableaux de Paul Klee dĂ©jĂ exposĂ©s dans des musĂ©es furent retirĂ©s. Paul Klee dĂ©cida alors de quitter lâAllemagne pour retourner Ă Berne en attendant la fin du rĂ©gime nazi.
En octobre 1933, il commença Ă rĂ©pertorier lâensemble de ses Ćuvres au sein dâun catalogue qui ne cessera dâĂ©voluer au fil du temps. Il continuait Ă©galement Ă peindre. Dans les Ćuvres quâil rĂ©alisa Ă cette Ă©poque, il retranscrivait sa dĂ©ception et sa tristesse face au rĂ©gime nazi qui lui avait arrachĂ© sa valeur en tant quâartiste et lâavait contraint Ă quitter son pays. Câest particuliĂšrement visible dans sa toile RayĂ© de la liste, peinte en 1933.
En 1935, Paul Klee apprit quâil souffrait de sclĂ©rodermie, une maladie dermatologique rare pour laquelle il nâexistait malheureusement aucun traitement. Son moral chuta drastiquement avec la peur de la mort. En 1936, il ne peignit presque plus : en un an, il nâavait créé que 25 nouvelles toiles. Mais lâannĂ©e suivante, il se remit Ă peindre, faisant Ă©voluer son style, reprĂ©sentant ses angoisses et sa peur de mourir dans des tableaux comme Explosion de peur III et CimetiĂšre (1939).
En 1939, Paul Klee demanda Ă ĂȘtre naturalisĂ© en Suisse. Bien quâil ait vĂ©cu Ă Berne durant cinq ans dâaffilĂ©e avant de faire sa demande, et malgrĂ© le fait quâil soit nĂ© Ă Berne, le processus fut extrĂȘmement long et compliquĂ©. Lâartiste fut obligĂ© de subir divers interrogatoires relatifs Ă son travail dâartiste et Ă ses Ćuvres, qui Ă©taient jugĂ©es trop atypiques et qui Ă©taient associĂ©es au socialisme. Finalement, il dĂ©cĂ©da quelques jours avant dâobtenir la nationalitĂ© suisse.
En 2005, la ville de Berne a ouvert un musĂ©e entiĂšrement consacrĂ© Ă lâĆuvre de Paul Klee, dont le bĂątiment a Ă©tĂ© construit par lâarchitecte Renzo Piano, auteur Ă©galement du Centre Pompidou Ă Paris. Ce musĂ©e appelĂ© Zentrum Paul Klee renferme plus de 4000 Ćuvres de Paul Klee : peintures, aquarelles, dessins ou encore marionnettes fabriquĂ©es par lâartiste pour son fils FĂ©lix. Il contient Ă©galement plusieurs collections personnelles de lâartiste : sa collection de plantes, minĂ©raux et coquillages, ses manuscrits (de journaux, notamment) et sa collection personnelle dâĆuvres dâart peintes et offertes par ses amis, dont Franz Marc et Wassily Kandinsky.
II â LâĆuvre de Paul Klee
1. Lâart selon Paul Klee
Paul Klee aimait comparer lâartiste Ă un Dieu crĂ©ateur. Dans lâouvrage collectif Confession crĂ©atrice publiĂ© en 1920, Paul Klee explique que lâartiste, Ă lâinstar de Dieu, se dĂ©tache du terrestre, des hommes et de la sociĂ©tĂ© pour crĂ©er, dans son Ćuvre, une nouvelle dimension de la rĂ©alitĂ© que lâon connaĂźt. Ainsi, une Ćuvre a, selon Paul Klee, la vocation de rendre visible une rĂ©alitĂ© que seul le peintre saura restituer, grĂące Ă sa force crĂ©atrice. Une Ćuvre dâart ne doit donc pas se contenter dâimiter la rĂ©alitĂ© telle que les hommes la voient, elle doit dĂ©passer cette rĂ©alitĂ©. Pour appuyer cette thĂ©orie, Paul Klee Ă©crivit dans Confession crĂ©atrice : « Lâart ne reproduit pas le visible ; il rend visible. Et le domaine graphique, de par sa nature mĂȘme, pousse [âŠ] Ă lâabstraction ».
Paul Klee partait du principe que, pour reprĂ©senter cette nouvelle dimension de la rĂ©alitĂ©, une Ćuvre dâart prend son point de dĂ©part dans la nature. Ainsi, Paul Klee Ă©crivait dans son journal : « Avec le zĂšle dâune abeille, je rĂ©colte dans la nature les formes et les perspectives ». Il avait Ă©galement pris des notes, toujours dans son journal, pour rĂ©sumer les Ă©tapes quâil suivait lorsquâil crĂ©ait une Ćuvre dâart : « GenĂšse dâun travail. 1) Dessiner rigoureusement dâaprĂšs nature [âŠ] 2) Renverser le dessin, en faire ressortir au grĂ© du sentiment les lignes principales. 3) RĂ©tablir la feuille dans sa position normale puis harmoniser (1) la nature avec (2) le tableau » (1908).
2. Un art entre figuratif et abstrait
Ce qui fait lâoriginalitĂ© des Ćuvres de Paul Klee est sans doute leur capacitĂ© Ă naviguer aisĂ©ment entre lâart figuratif et lâart abstrait, qui sont pourtant deux notions contraires. En effet, Paul Klee ne se considĂ©rait pas comme un prĂ©curseur de lâart abstrait, contrairement Ă Wassily Kandinsky et Kasimir Malevitch. Il ne considĂ©rait mĂȘme pas comme un peintre abstrait. Cependant, il contribua de maniĂšre phĂ©nomĂ©nale, Ă travers ses Ćuvres, au dĂ©veloppement de lâart abstrait au XXĂšme siĂšcle.
Dâun point de vue technique, Paul Klee nâĂ©tait effectivement pas un peintre abstrait au sens oĂč lâentendaient les artistes modernes du XXĂšme siĂšcle. Tandis que les peintres abstraits ne cherchaient en aucun cas Ă reprĂ©senter le rĂ©el, Paul Klee en revanche se basait sur une reprĂ©sentation de la nature lorsquâil peignait. Les peintres abstraits utilisaient lâabstraction comme une fin, Paul Klee lâutilisait comme un moyen qui lui permettrait dâexprimer sa propre vision, ses sentiments face Ă un paysage, par exemple. Paul Klee concevait son art comme on Ă©crit un poĂšme ou de la musique : il partait dâune vision rĂ©elle et la « dĂ©formait », Ă lâaide de formes, de lignes et de couleurs, pour la montrer sous un jour diffĂ©rent au spectateur. Il lâĂ©crivait lui-mĂȘme : pour peindre une Ćuvre dâart, il avait dâabord besoin de « dessiner rigoureusement dâaprĂšs nature » avant de « renverser le dessin, en faire ressortir au grĂ© du sentiment les lignes principales ».
Les rĂ©sultats de cette dĂ©marche artistique spĂ©cifique sont des tableaux qui, du premier regard, ressemblent Ă de lâart abstrait, bien que ce ne soit pas le cas. MalgrĂ© lui, Paul Klee aura donc influencĂ© un bon nombre dâartistes modernes et contemporains qui se revendiquent abstraits.
3. Une Ćuvre riche et variĂ©e
Tout au long de sa vie et de sa carriĂšre, Paul Klee ne cessa jamais dâexpĂ©rimenter, faisant preuve dâune curiositĂ© artistique et dâune soif dâapprendre sans limite. Tant au niveau des supports que des techniques, il aura acquis tout au long de sa vie une riche connaissance des arts plastiques, qui finit par le conduire vers son propre style.
Au total, Paul Klee a produit plus de 10 000 peintures et 4 877 dessins durant sa vie. Mais il a Ă©galement rĂ©alisĂ© des sculptures, des gravures et des lithographies. Paul Klee est venu Ă lâart par le dessin, quâil produisait en noir et blanc, souvent Ă lâencre de Chine, sur divers supports. Câest lorsquâil rejoignit lâatelier dâHeinrich Knirr en 1898 quâil apprit Ă manier le pinceau. En 1902, il Ă©crivit dans son journal quâil sâessayait parfois Ă la peinture Ă lâhuile, discipline quâil ne maĂźtrisait pas encore tout Ă fait. Il ajoutait alors : « Je ne vais pas au-delĂ de certaines expĂ©rimentations techniques. Certainement encore tout Ă fait au dĂ©but ou mĂȘme avant le dĂ©but ! ».
Entre 1905 et 1916, Paul Klee se concentra sur une autre technique artistique que peu de ses contemporains utilisaient : la peinture sous verre. Durant cette pĂ©riode, il rĂ©alisa 64 peintures sous verre. FascinĂ© par le verre comme support dâĆuvre dâart, Paul Klee nâhĂ©sita pas, tout au long de sa carriĂšre, Ă expĂ©rimenter sur le verre, testant sur ce support les connaissances quâil avait acquises en peinture mais aussi en gravure. Des caricatures aux reprĂ©sentations de paysages, en noir et blanc ou en couleurs, Paul Klee a testĂ© lâutilisation du verre en art sous toutes ses coutures.
Paul Klee fit Ă©galement Ă©voluer sa maĂźtrise de lâaquarelle tout au long de sa vie. Peu assurĂ© dans le maniement des couleurs au dĂ©part, il commença par nâutiliser que des tons de gris dans ses dessins Ă lâaquarelle. Ce nâest que vers 1910 quâil commença Ă inclure dâautres couleurs. En 1914, durant son voyage en Tunisie, il eut une vĂ©ritable rĂ©vĂ©lation concernant la couleur et câest Ă ce moment-lĂ quâil peignit ses premiĂšres Ćuvres en couleur notables Ă lâaquarelle.
Vers 1912, aprĂšs avoir durant de longues annĂ©es travaillĂ© la peinture sous verre et lâaquarelle, Paul Klee reprit la peinture Ă lâhuile. Encore une fois, ce fut seulement aprĂšs son voyage en Tunisie quâil commença Ă produire des peintures dont il Ă©tait satisfait, et qui, par le jeu des formes et des couleurs, traduisaient rĂ©ellement ce quâil souhaitait transmettre au spectateur.
Du dĂ©but Ă la fin de sa vie, Paul Klee travailla sur une infinitĂ© de supports, expĂ©rimentant sans cesse. En-dehors du verre, il testait toutes sortes de matĂ©riaux : papier, carton, toile, jute, gaze, coton, soie, toile dâavion ou encore bois. Il nâimposait aucune limite Ă ses expĂ©rimentations et Ă sa crĂ©ativitĂ©. Il peignait Ă©galement avec divers outils : le pinceau, mais aussi le couteau, le tampon ou la spatule. Du fait de lâutilisation des textiles, ses Ćuvres Ă©taient rarement peintes sur une surface lisse, ce qui une fois de plus en faisait lâoriginalitĂ©.
Aussi, Paul Klee utilisa la technique de pulvĂ©risation, Ă lâaide dâune brosse quâil frottait contre une grille ou une plaque de tĂŽle perforĂ©e, bien avant quâelle ne devint populaire. Ainsi, il avait dĂ©jĂ fait ses premiers essais avant 1920. Puis, au cours de la dĂ©cennie suivante, il apprivoisa la technique de la peinture Ă la colle, qui consistait Ă utiliser de la colle comme liant, Ă la place de lâeau ou de lâhuile, donnant une peinture trĂšs Ă©paisse. Paul Klee utilisait cette technique notamment pour peindre des couleurs. Lâartiste avait aussi la particularitĂ© de peindre des Ćuvres recto-verso, ce que trĂšs peu dâartistes de son Ă©poque faisaient. Au total, il produisit prĂšs de 550 peintures recto-verso au cours de sa vie.
Enfin, Paul Klee avait lâhabitude de retravailler ses Ćuvres Ă postĂ©riori en sâaidant de ciseaux : il dĂ©coupait ses peintures ou ses aquarelles en plusieurs morceaux, quâil rĂ©agençait et recollait ensuite pour recrĂ©er une nouvelle Ćuvre.
III â Quelques Ćuvres reprĂ©sentatives de Paul Klee
1. Senecio, 1922
Cette Ćuvre est une peinture Ă lâhuile rĂ©alisĂ©e sur toile. Dans ses peintures, Paul Klee ne cherchait pas Ă reprĂ©senter la rĂ©alitĂ© telle quâelle lâĂ©tait, mais telle quâelle pourrait lâĂȘtre : câĂ©tait dâautant plus le cas dans ses portraits, quâil prĂ©fĂ©rait appeler « physionomies ». Le titre Senecio (terme qui en latin signifie « vieillard ») indique que Paul Klee a peint dans ce tableau un vieil homme. LâĆuvre est parfois aussi intitulĂ©e « Portrait dâun homme qui devient sĂ©nile ».
Pour rĂ©aliser ce portrait, Paul Klee sâest tournĂ© vers le cubisme, qui avec ses formes gĂ©omĂ©triques dâapparence simple, possĂšde une dimension enfantine. La sĂ©nilitĂ© renvoie en quelque sorte Ă lâenfance et pour exprimer cette idĂ©e, Paul Klee a intĂ©grĂ© Ă son portrait des formes gĂ©omĂ©triques qui font penser aux jeux de lâenfance : le ballon (la tĂȘte), les billes (les yeux) et les cubes (le nez, le cou).
On retrouve Ă©galement dans cette Ćuvre une allusion aux masques africains, que les artistes de lâĂ©poque venaient de dĂ©couvrir et qui avaient spĂ©cifiquement marquĂ© le cubisme.
Dans cette Ćuvre, Paul Klee a choisi dâutiliser des couleurs chaudes : le rouge, lâorange et le jaune prĂ©dominent, donnant au tableau une luminositĂ© et une intensitĂ© exceptionnelles.
2. Le feu le soir, 1929 đ„
Le feu le soir est Ă©galement une peinture Ă lâhuile sur toile. Paul Klee rĂ©alisa cette Ćuvre en 1929, au retour dâun voyage dâun mois au cours duquel il avait dĂ©couvert lâĂgypte. InspirĂ© par les paysages quâil avait vus, notamment au coucher du soleil et de nuit, Paul Klee entama Ă son retour un travail sur les couleurs qui lâavaient marquĂ©. Le feu le soir est un tableau aux tons majoritairement sombres : lâartiste a voulu y Ă©voquer un coucher de soleil en mettant en avant le contraste entre les ombres et les lumiĂšres.
3. Ad Parnassum, 1932
Entre 1931 et 1932, alors quâil enseignait Ă lâAcadĂ©mie des Beaux-Arts de DĂŒsseldorf, Paul Klee sâessaya au style pointilliste inventĂ© plus de cinquante ans auparavant par les nĂ©o-impressionnistes Paul Signac et Georges Seurat. Il rĂ©alisa alors lâun de ses plus cĂ©lĂšbres tableaux, Ad Parnassum. Le titre de cette Ćuvre peut ĂȘtre une rĂ©fĂ©rence au Mont Parnasse, qui dans la mythologie grecque est le temple dâApollon, dieu des arts et notamment de la musique, ou bien il peut ĂȘtre le raccourci de lâexpression « Cradus ad Parnassum », le titre dâun fameux traitĂ© du XVĂšme siĂšcle sur la musique. Quoi quâil en soit, cette Ćuvre possĂšde un lien fort avec la musique et lâidĂ©e de polyphonie, la superposition de plusieurs voix ou instruments qui sont diffĂ©rents lorsquâon les prend Ă part mais qui crĂ©ent une harmonie lorsquâils sont rĂ©unis.
Paul Klee est effectivement parti de lâidĂ©e de polyphonie pour crĂ©er ce tableau qui superpose les couches de peintures et les couleurs. Ainsi, il peignit dâabord une premiĂšre couche qui reprĂ©sentait, sur lâensemble de la toile, des carrĂ©s de couleurs, comme il le faisait couramment dans ses Ćuvres. Puis, par-dessus, il apposa une autre couche de peinture par petits points rĂ©guliers (selon le principe du pointillisme) et ajouta des lignes droites et lignes courbes. Pour Paul Klee, les surfaces peintes Ă©taient des harmonies et les lignes Ă©taient des mĂ©lodies. Les couleurs fonctionnaient quant Ă elle comme des polyphonies.
Ad Parnassum est loin dâĂȘtre le seul tableau de Paul Klee qui est une mĂ©taphore de la composition musicale. Dans ses cours de peintures donnĂ©s au Bauhaus, Paul Klee enseignait que la peinture Ă©tait, comme la musique, une question de rythmes, dâharmonies, dâintensitĂ© et de variations. Il utilisait couramment le vocabulaire technique de la composition musicale : fugue, syncope, polyphonie⊠CâĂ©tait comme cela quâil voyait la peinture et cela se ressent dans nombre de ses Ćuvres.
4. RĂ©volution du Viaduc, 1937 đ
AprĂšs avoir laissĂ© la peinture de cĂŽtĂ© pour se concentrer sur sa santĂ©, Paul Klee se remit Ă peindre en 1937 et lâune des Ćuvres Ă laquelle il consacra le plus de temps fut RĂ©volution du viaduc. Lâartiste rĂ©alisa cinq versions de cette Ćuvre et finalement, il ne prit pas la peine de la faire exposer. Cependant, lors dâune rĂ©trospective de lâĆuvre de Paul Klee Ă Berne en 1940, ce tableau fut redĂ©couvert et enfin montrĂ© au public.
Du fait de son titre, ce tableau a toujours Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme une Ćuvre politiquement engagĂ©e. Certains critiques ont considĂ©rĂ© que lâaspect dĂ©sordonnĂ© et menaçant des douze ponts reprĂ©sentĂ©s symbolisait les mouvements totalitaires. Mais lâĂ©tude des prĂ©cĂ©dentes versions de Paul Klee fit changer les critiques de perspective. En effet, lâavant-derniĂšre version de RĂ©volution du viaduc avait Ă©tĂ© intitulĂ©e Arches de pont qui se singularisent. Ce tableau est vraisemblablement une mĂ©taphore de la rĂ©volution. Un pont possĂšde habituellement des arches conformes les unes aux autres, prĂ©sentant la mĂȘme hauteur et la mĂȘme courbure dâarcade. Ici, les arches se dĂ©tachent du pont pour affirmer leur identitĂ© personnelle et leur anti-conformitĂ© : ainsi, Paul Klee a dessinĂ© des arches de diffĂ©rentes tailles et de diffĂ©rentes couleurs, qui semblent se dresser contre lâordre Ă©tabli et lâobligation de conformitĂ© Ă laquelle elles ne veulent plus obĂ©ir.